L'absent
la guerre, et à Talleyrand de lui apporter dans un
bref délai l’abdication sans conditions de celui qu’il nommait le tyran. Ainsi
était le caractère du maréchal, toujours naviguant entre les extrêmes, irrésolu
au fond, plus vaillant avec un sabre qu’avec des mots. Il bouillonnait, certes,
mais devant l’Empereur il bafouillait, debout avec les autres pour rendre
compte. Napoléon avait retrouvé son aplomb, mains dans le dos sous les basques
à retroussis de son habit de colonel ; il oubliait que les occupants
voulaient éloigner un quart de son armée en Normandie. Pour rouvrir cette
blessure, et le voir flancher, Ney lui présenta le dernier numéro du Journal
des débats, frais sorti de l’imprimerie, qui soulignait à la une :
Monsieur le maréchal Marmont, duc de Raguse, a
abandonné les drapeaux de Bonaparte pour embrasser la cause de la France et de
l’humanité…
L’Empereur plia son face-à-main, reposa la feuille, très
calme :
— Messieurs, j’ai réfléchi.
Il laissa peser un silence avant de poursuivre :
— Tout peut encore être sauvé. Soissons résiste,
Compiègne aussi. Des places tiennent contre l’envahisseur : Strasbourg,
Anvers, Mantoue, Barcelone, les garnisons d’Allemagne. Des partisans harcèlent
les arrières de l’ennemi…
— Mais à Paris, coupa le maréchal Ney, le mot de paix
est devenu magique…
— La paix ! Avec les Bourbons ? Le frère de
Louis XVI est vieux, impotent, il faut une machine avec des poulies pour
le monter dans sa calèche ! Les Bourbons ! Ceux qui les entourent ne
sont que des passions et des haines habillées !
— Avons-nous un autre choix ? risqua Macdonald.
— Oui, monsieur le maréchal, nous avons un autre choix
que celui d’un roi ramené d’Angleterre par des régiments étrangers.
Portons-nous sur la Loire.
— Sire, intervint le major général Berthier, je vous ai
montré les derniers rapports de notre cavalerie légère…
— Je sais. Les ennemis s’avancent sur la route
d’Orléans, ils se sont emparés de Pithiviers, tentent d’entourer Fontainebleau.
Les Russes ont franchi le Loing. Eh bien ?
— Peut-on rompre cet encerclement pour gagner la
Loire ? demanda Macdonald.
— Soult a cinquante mille hommes sous les murs de
Toulouse, Suchet en ramène quinze mille de Catalogne, le prince Eugène dispose
en Italie d’une trentaine de milliers de soldats, Augereau en commande quinze
mille dans les Cévennes, n’oublions pas les garnisons des frontières, et
l’armée du général Maisons, et ma Garde, les vingt-cinq mille de ma
Garde !
Les maréchaux sont consternés et ne le cachent pas, leurs
visages s’allongent, ils détournent les yeux.
— Vous voulez du repos ?
— L’armée est à bout, sire, dit Macdonald. Les
désertions se multiplient, les hommes sont démoralisés par la défection du 6 e corps…
— Pauvres maréchaux ! pauvres héros ! pauvres
gens sans honneur qui ne songez qu’à ma mort !
— Sire !
— Savez-vous combien de dangers et de chagrins vous
attendent sur vos lits de duvet ?
L’Empereur va s’asseoir derrière un petit guéridon d’acajou
sur lequel le duc de Bassano a disposé des plumes, de l’encre, du papier.
Blême, d’une main nerveuse, Napoléon écrit un texte médité ; l’encre gicle
sur le papier, que la plume griffe. Il rature le mot nation, le remplace
par France :
— Lisez !
Il tend le papier à Ney, mais ce gribouillage n’est pas
aisément lisible, et Bassano lit à sa place :
Les puissances alliées, ayant proclamé que l’Empereur
Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe,
l’Empereur, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce pour lui et ses
héritiers aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice
personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire aux intérêts de la
France.
Ney et Macdonald qui n’y croyaient plus, enfin soulagés,
s’approchèrent de l’Empereur avec empressement, ils lui prirent les mains pour
les serrer :
— Sire ! jamais vous n’avez été plus grand !
Ney en profita, ce même jour, et il demanda une forte somme
d’argent au monarque qu’il avait contribué à vendre ; il l’obtint.
Les maréchaux repartirent dès le soir pour arranger un
traité honorable avec les vainqueurs, en échange de l’abdication, et défendre
au mieux les intérêts de Napoléon, de sa
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