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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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offrir,
tiens ! Tout le monde sera rassuré, caressé, endormi ! Les alliés
croiront que nous n’allons pas attaquer, bene  !Gagnons du
temps.
    Il parle et il écrit en même temps. La plume crisse
nerveusement :
    — Caulaincourt, allez à Paris, négociez au mieux leur
foutue régence, jouez bien la comédie, vous emmènerez ce grand idiot de Ney, et
aussi Macdonald, cela les calmera…
    — Rappelez les maréchaux ! lance le duc de
Bassano, entrebâillant la porte de l’antichambre. Peu après, les maréchaux
reviennent ; des valets les ont rattrapés en courant dans la galerie,
jusque sur les marches de l’escalier extérieur. Ils sont là, surpris, sans trop
savoir quelle attitude adopter. L’Empereur peut les faire fusiller pour
désobéissance, mais non, Napoléon est debout, sa lettre à la main qu’il agite
pour en sécher l’encre, et sa voix est douce :
    — Je suis un obstacle ? Soit. M. le duc de
Bassano va vous lire ce mot que je viens de rédiger.
    Bassano prend la lettre que lui tend son Empereur, dont il
sait déchiffrer l’écriture pointue, petite et penchée, sans majuscules, avec
des mots liés entre eux. Il lit à haute voix, dans un silence pesant :
     
    Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur
Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe,
l’Empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il est prêt à descendre
du trône, à quitter la France et même la vie pour le bien de la patrie,
inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de l’impératrice et
du maintien des lois de l’Empire.
     
    Les maréchaux sont éberlués. Ils entourent Napoléon, lui
attrapent les bras, lui baisent les mains. L’Empereur les considère avec un
certain mépris mais ils ne s’en aperçoivent pas.
    — Maintenant, dit l’Empereur, allez à Paris défendre les
intérêts de mon fils.
     
    Cette maudite journée n’était pas terminée. Octave avait les
paupières lourdes, il était assis sur une causeuse de taffetas vert, la tête
contre ses bras croisés, luttait contre la fatigue, s’efforçait à la vigilance.
Derrière la cloison, il entendit l’Empereur arpenter son cabinet de travail,
sans s’interrompre, comme une bête tourne dans sa cage. Octave pensait à la
riposte du lendemain ; elle semblait inévitable, même avec des bataillons
diminués par la mort et par la désertion, des soldats souvent trop jeunes mais
qu’on avait vus à l’œuvre dans les plaines champenoises ; leur rage se
substituait à l’expérience. Octave attendait le moment où Napoléon irait au lit
pour y ressasser ce combat si proche, alors il entrerait dans le bureau et
remettrait tout en place, balayerait le tabac à priser, heureusement coupé en
grossiers copeaux, que Sa Majesté répandait partout.
    Une turbulence diffuse, quelque part dans le palais, le
secoua de sa rêveuse torpeur, des bruits se rapprochaient, des voix sourdes.
Roustan s’était levé, il avait empoigné son sabre. Octave se tâtait la hanche
où il avait attaché son couteau de tueur ; il écarta sa livrée pour le
tirer à la première alerte. Des portes battent. Des appels se répondent dans
les couloirs. Un trépignement de pas, maintenant, dans la galerie de
François I er . L’aide de camp de service pousse bientôt en grand
la portière de l’antichambre. Le général Belliard et un cuirassier casqué,
graves, contrariés, demandent à voir l’Empereur d’urgence. Octave gratte à la
porte du bureau.
    — Qui est-ce ?
    — Belliard, sire !
    — En pleine nuit ?
    — Il est onze heures du soir, sire.
    — Qu’y a-t-il donc de si important, Belliard ? dit
l’Empereur en ouvrant lui-même.
    — Une mauvaise nouvelle.
    — Les mauvaises nouvelles, c’est votre lot.
    Le même Belliard avait annoncé à Napoléon la capitulation de
Paris, lorsque ce dernier était arrivé trop tard pour pénétrer en ville. Le
général entre. La porte se referme. Octave aperçoit des officiers qui
tournicotent dans la galerie : que se passe-t-il ? Ils aimeraient
bien le savoir, mais le général réservait ses informations. Plus loin, dans un
salon que des colonels avaient transformé en tripot, où ils avaient décidé de
veiller en gaspillant les dernières pièces d’or de leurs soldes, avant de
mourir peut-être dans quelques heures, Octave croit distinguer la silhouette de
Maubreuil dans son uniforme des chasseurs de la Garde. L’a-t-il

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