L'absent
vu ? Au
lieu de venir, il s’éloigne et disparaît à un angle de corridor. Octave le
suit. Des domestiques qui portent des lanternes, des militaires arrivent aux
nouvelles. Octave avance à contre-courant, il ne veut pas égarer Maubreuil,
qu’il repère au pied de cet escalier. Il dégringole les marches, franchit les
portes du perron d’honneur que grimpent pêle-mêle des chevau-légers et des
hussards à grosse natte sur le cou. L’ennemi aurait-il lancé une offensive
nocturne sur le front de l’Essonne ? Octave se demandera tout à l’heure à
quoi rime cette agitation : à sa faveur, il compte éliminer discrètement
Maubreuil et régler le problème ; le royaliste s’enfuit parce qu’il y a
trop de monde autour de l’Empereur et qu’il n’est pas disposé à se laisser
écharper, il a renoncé à son entreprise, ou il l’a remise à plus tard. Il faut
le liquider. Octave se concentre sur ce piètre assassin qui traverse la cour
principale, le dos éclairé par la lumière des nombreuses fenêtres où s’allument
des lustres. C’est une nuit sans lune et sans étoiles. Octave presse le pas.
Dans les rues de Fontainebleau règne une pareille confusion, des soldats
forment des cortèges, ils brandissent des flambeaux qui fument, branches
chargées de feuilles sèches, enflammées sous le fricot des bivouacs. Octave
garde l’œil braqué sur les épaules de Maubreuil quand il s’enfonce dans ces
colonnes indignées qui crient. Des grenadiers à bacchantes gauloises,
menaçants, le fusil à la bretelle, se dirigent vers le château en
gueulant : « À Paris ! À Paris ! » Les jeunes
conscrits, sermonnés par des anciens, débordent leurs officiers et participent
à la mêlée où Octave a perdu son gibier un instant, mais non, il reparaît
là-bas, s’engage dans une venelle. Octave se dépêche. Ils débouchent ensemble
sur une placette où des chasseurs de la Garde, aux feux du campement, sellent
leurs chevaux. Octave rejoint Maubreuil et va lever son couteau quand il dérape
dans la rigole d’immondices qui court au milieu des pavés. Il tombe par terre,
lâche son arme, le chasseur se retourne au bruit de cette chute ridicule :
— Vous avez l’air malin, monsieur, les quatre fers en
l’air !
Ce n’est pas Maubreuil. D’ailleurs, de près, à la lumière
des flammes, son uniforme est moins reluisant. D’autres cavaliers les entourent
et regardent ce valet assis dans le caniveau, qui a mal aux fesses et
s’explique :
— Pardonnez-moi, lieutenant, je vous ai pris pour un
autre…
— Que lui vouliez-vous, à cet autre ?
— L’individu que je poursuivais porte la même tenue que
vous, il l’a volée, il voulait approcher Sa Majesté…
— Diable ! Depuis quand les domestiques font-ils
la police ?
— Je fais la police habillé en domestique.
— Vous venez du palais ? demande un autre.
— J’en arrive.
— La trahison est-elle confirmée ?
— Quelle trahison ?
— Vous arrivez du palais et vous ne savez pas ce qu’on
répète ?
— J’étais tout à mon homme.
— Monsieur le faux valet, dit le faux Maubreuil, le 6 e corps
vient de faire défection.
Octave se relève, endolori, bas blancs et souliers maculés
par la boue de Fontainebleau. Le chasseur précise :
— Onze mille de nos hommes sont passés à l’ennemi,
monsieur.
Le 6 e corps d’armée qu’avait regroupé
Marmont le long de la rivière Essonne, ayant traversé en pleine nuit les
cantonnements russes et bavarois, marchait sur Versailles pour se livrer au
gouvernement provisoire. Les soldats étaient fidèles mais leurs chefs ne l’étaient
plus. Marmont avait négocié son reniement avec l’état-major allié qui avait su
le flatter. Les hommes avaient obéi parce que les généraux avaient menti :
« L’armée attaquera dès l’aube, nous devons la couvrir. » Ainsi
dupés, les régiments s’étaient mis en route mais dans la mauvaise direction.
Certains s’en étaient aperçus, comme ce capitaine des cuirassiers que Belliard
avait emmené chez l’Empereur : il s’était échappé à travers les cultures
et avait couvert les huit lieues qui le séparaient de Fontainebleau. La
défection une fois connue, Napoléon n’avait pas réagi. Au-dehors, sa Garde en
fureur tempêtait dans la ville ; des émissaires l’avaient averti que la
faible division du général Lucotte, un incorruptible, lui restait acquise, que
les cavaliers polonais de
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