L'absent
femme, de leur fils, de l’armée et des
serviteurs de l’Empire. Octave les vit s’en aller comme il rentrait au palais,
après s’être informé auprès du cordonnier Boiron des intentions du parti
royaliste : Maubreuil semblait avoir renoncé à son projet de meurtre, il
avait disparu. À Fontainebleau, l’ambiance fiévreuse des derniers jours était
retombée. Le château se dépeuplait et Octave le trouva soudain immense. Dans
les galeries désertes, parfois, il croisait des ombres, personne n’osait un
commentaire ni un salut, chacun songeait à son proche départ en échafaudant des
prétextes nobles et crédibles, la maladie d’un parent, des fonds à aller
chercher, une invitation. Avant même que le traité soit élaboré et ratifié par
les alliés, des généraux et des ducs faisaient allégeance à Louis XVIII,
c’est-à-dire à Talleyrand pour en obtenir des avantages, d’abord Oudinot, puis
Mortier, le si républicain Jourdan, Kellermann, Ségur, Hulin, Latour Maubourg,
presque tous.
Au milieu d’une aussi rapide débâcle, l’Empereur continuait
à présenter une bonne figure et ne changeait rien à ses coutumes domestiques.
Au lever, Constant lui présentait son plat à barbe rempli d’une eau savonneuse
parfumée à l’orange, il y plongeait les mains jusqu’aux avant-bras et
s’aspergeait le menton, éclaboussait son gilet de flanelle, et les assistants,
et le plancher, puis, devant le miroir que Roustan tenait dans la lumière d’une
fenêtre, il se rasait de haut en bas, contrairement à l’usage des barbiers,
avec son coupe-chou à manche de nacre. Il s’était toujours rasé lui-même, une
précaution peut-être, le refus qu’un autre lui balade une lame sur la gorge. Il
en plaisantait souvent, se référait à Hiéron de Syracuse, le tyran de Xénophon,
qui ne tournait jamais le dos à une fenêtre, par crainte d’un poignard ou d’une
flèche, mais il devenait macabre au fil des jours, pendant que son destin se
jouait à Paris entre des étrangers, des royalistes avides et des
traîtres :
— J’en connais beaucoup qui aimeraient tenir ce rasoir
pour m’ouvrir le cou. Eh oui, ça les embête que je vive ! Moi aussi,
d’ailleurs. S’ils savaient, ces avortons ! Je m’en moque, du pouvoir, je
n’y tiens pas ! Un trône, ce n’est jamais que du bois doré où poser son
cul !
Comme Octave arrivait avec la tisane fumante, on entendit un
bruit de roues dans la cour. L’Empereur se figea au milieu d’un geste, le
rasoir en l’air :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une voiture devant le perron, dit Octave qui jetait
un œil par la vitre.
— C’est Berthier ? Il revient ?
— Non, sire, c’est le général Friant qui s’en va.
— Friant…
Napoléon se lava les mains à la pâte d’amandes, sans un mot
de plus ; il se sentait désœuvré, ce qu’il détestait, lorsque Bassano lui
apporta les derniers échos de Paris, toujours sur le même mode, des libelles,
des gazettes, une brochure de Chateaubriand qui attribuait à l’Empereur tous
les vices de la terre et de l’enfer, en brossant de Louis XVIII un
portrait angélique, des chansons imprimées, des caricatures à foison dont l’une
le représentait en toupie giflée par les souverains de l’Europe ; sur une
autre, le vent du nord soufflait pour disperser ses bulletins de victoire et
ses décrets. Des plaisantins avaient déniché dans les Actes des saints que Napoléon était le nom d’un diable, d’autres affirmaient pour le brocarder
qu’il s’appelait en vérité Nicolas, ou que Nabot paré était l’anagramme
de Bonaparte. Il ne s’émut que d’un dessin qui figurait le roi de Rome :
l’enfant passait une corde au cou d’un buste de l’Empereur sous le titre La
cravate à papa.
— Tout se rapetisse, dit-il avec une moue
dégoûtée.
Ensuite il s’étonna auprès de Bassano de ne plus recevoir
aucune lettre de l’impératrice ; il lui écrivait chaque jour depuis qu’il
était à Fontainebleau, des officiers choisis partaient régulièrement lui
remettre cette prose, mais quoi ? La route de Blois était coupée, les
courriers interceptés, Napoléon s’en lamentait ; il savait Marie-Louise
faible et malade, en proie à des insomnies, à des crises de larmes. Elle
regrettait d’avoir quitté Paris, elle regrettait de n’être pas auprès de lui.
L’Empereur était seul. Sa famille avait fui. Sa mère était sans doute à Rome,
Louis en Suisse, où
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