L'absent
verrais une mortelle injure !
— Réunissez deux bataillons de la Garde, emportez avec
vous quatre canons et ramenez de Blois mon fils et l’impératrice.
— Elle acceptera ?
— Si elle hésite, vous l’enlevez.
C’était un ordre. L’Empereur n’en donnerait plus d’autre
avant longtemps.
Le palais se transforma en prison. Napoléon se morfondait,
il ne décidait plus rien et on le faisait attendre. Lui qui gouvernait
l’ensemble des gens et des choses de son Empire si vaste, il n’avait plus à
régenter que des petits riens. Il réservait ses commandements aux marmitons et
aux sous-fifres, il ne s’emportait que pour une tisane trop chaude, un drap
froissé, des lentilles froides. Il ne pouvait même pas se plaindre du
bruit : les rares occupants du château y marchaient comme des moines.
Quand il entendait une voiture, il savait qu’un des siens s’en allait. Il
n’essayait pas de retenir ceux qui l’avaient servi, au contraire, il les
encourageait à rallier le nouveau gouvernement et à se signaler aux
Bourbons : qu’ils ne manquent pas l’occasion d’une place ou d’une rente à
cause d’un dévouement inutile. Même son mamelouk partit visiter sa femme à
Paris où elle habitait, jurant de revenir, mais qu’importe, chacune des heures
passées renforçait l’humiliation et le désarroi de l’Empereur. Indolent,
ailleurs, brisé, il ne réagissait qu’à peine. Octave ne le perdait jamais de
vue, selon les consignes de Bassano, et un matin, entrant dans la chambre, il
vit Napoléon tassé dans son fauteuil, du sang sur sa culotte blanche ; il
s’était lacéré la cuisse avec ses ongles.
Le 12 avril, dès le matin, les mauvaises nouvelles se
succédèrent. Ce fut d’abord Peyrusse, l’officiel payeur des voyages, qui rentra
sans avoir pu récupérer la moindre part des diamants et des millions de la
liste civile emportés par la Cour : au nom du roi, un marquis de La Grange
avait arraisonné le convoi près d’Orléans et ramené l’argent aux
Tuileries ; surveillés par la garde nationale, les fourgons n’avaient
toujours pas été déchargés parce que les fonctionnaires du Trésor se
disputaient avec les royalistes qui voulaient conserver le magot. Plus tard
dans la journée, le général Cambronne aussi revenait bredouille. Quand il était
arrivé au château de Blois, l’impératrice était partie pour celui de
Rambouillet où l’attendait son père. Enfin, dans la soirée, Caulaincourt et
Macdonald apportèrent le traité établi par les alliés. Pourvu que l’ex-empereur
décampe au plus vite, la plupart de ses demandes avaient été respectées, sauf
une, concernant Marie-Louise ; elle n’obtiendrait pas la Toscane pour s’y
retirer, la délégation de son propre père s’y opposait. « Ces Autrichiens
n’ont pas d’entrailles ! » dit Napoléon. Seule sa signature manquait
désormais pour qu’il règne sur un rocher en Méditerranée, cette île d’Elbe
qu’on lui octroyait après avoir songé à Corfou ou à la Corse, mais il renâclait.
« Me forcer à signer ce traité, disait-il encore, c’est prolonger mon
agonie… »
Octave remplaça le mamelouk Roustan devant la porte de
l’Empereur. Il était allongé sur le lit de sangle quand il entendit appeler, il
sursauta, se leva d’un bond, prit un flambeau et entra sans cérémonie dans la
chambre. Napoléon était renfoncé dans ses oreillers. Son lit, sur l’estrade de
velours et sous un dais, à la lumière basse de la lampe de nuit, on aurait dit
un catafalque, mais le gisant murmurait :
— Monsieur Sénécal, je vais me lever.
En posant son flambeau sur un meuble, Octave nota qu’il
était quatre heures du matin à la pendule. Il apporta les pantoufles, aida à
enfiler la robe de chambre damassée, ranima le feu moribond, replaça sur leurs
chenets les bûches cassées par les flammes, puis, à quatre pattes, souffla sur
les braises.
— Allez me chercher du papier.
Octave retourna dans l’antichambre. Du papier ? Où
donc ? Il bouscula l’un des aides de camp qui d’une voix pâteuse lui
indiqua, dans le cabinet de travail voisin, le secrétaire où l’on rangeait le
nécessaire à écrire, il y alla, trouva, prit une liasse, repartit dans la
chambre. Napoléon était assis dans une causeuse, près de la cheminée où des
flammèches léchaient le bois. Octave approcha du guéridon, disposa les feuilles
et de quoi écrire. L’Empereur avait les yeux
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