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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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pas !
    — Sire…
    — Sire ! Sire ! Sire ! Ah, bravo, vous
avez des égards comme si j’étais dans mon tombeau, Master Campbell !
    En avant des trois autres commissaires étrangers qui
devaient faciliter son voyage, Sir Neil Campbell, un colonel d’origine
écossaise envoyé par Londres, se tenait impassible dans son uniforme rouge
sang ; il avait la peau laiteuse des Britanniques, un nez et des pommettes
piquetés de couperose, les lobes de ses grandes oreilles dépassaient sous la
perruque à rouleaux qu’un katogan de velours noir retenait sur le col.
L’Empereur ignorait le Russe, il détestait le Prussien et méprisait
l’Autrichien, il ne s’adressait qu’à Campbell :
    — Votre roi George est fou, il grimpe aux rideaux, il a
des propos infantiles, il rampe sur les tapis de Buckingham comme une
couleuvre, son fils ne vaut pas mieux, qui le remplace sur un trône vacant,
c’est un noceur, un trousseur de filles des rues, une mollasse à la merci de
son entourage d’épiciers ! Et moi, Campbell, pour qui me
prenez-vous ?
    — Vous avez signé le traité…
    — Un torchon que je peux dénoncer si les termes n’en
sont pas respectés !
    — En quoi les alliés ne respectent-ils pas le
traité ?
    — Ils empêchent l’impératrice de me rejoindre !
    — C’est elle qui en a décidé ainsi…
    — Non !
    — Le gouvernement provisoire…
    — Je n’ai rien à fiche du gouvernement
provisoire ! Il ne tient pas ses promesses !
    Campbell était arrivé au palais quatre jours plus tôt, un
matin, pour présenter le document qui ordonnait à son actuel commandant de
livrer l’île d’Elbe à Napoléon. Ces ordres stipulaient que les forts devaient
être désarmés et qu’on devait rapatrier les provisions de poudre ; l’Empereur
irrité revenait sur cette clause :
    — Et ces canons qu’on veut m’enlever ! Sans
artillerie, comment pourrais-je me défendre des corsaires algériens ? On
veut qu’ils me capturent ? Qui paierait une rançon ? On veut qu’ils
m’étripent ? Et si j’allais bonnement me retirer en Angleterre,
Campbell ? Je n’ai besoin que d’un lit et d’une solde de caporal !
    Mêlé aux assistants contrariés, Octave écoutait les
récriminations de Sa Majesté, qui passait cavalièrement d’un thème à l’autre
pour énumérer ses griefs, puis ses emportements s’apaisèrent et il baissa d’un
ton pour ménager son effet :
    — Le peuple est mécontent, on le dit, je l’entends
d’ici et je le sais. J’ai trente mille hommes, je peux en obtenir cent mille de
plus. Sans les troupes étrangères, que sont-ils vos Bourbons ? Combien de
temps vont-ils tenir ?
    — Le gouvernement provisoire est français, sire.
    — Allons ! Talleyrand m’a vendu le Directoire, il
me vend aux Bourbons mais êtes-vous assuré que demain il ne va pas me vendre
Louis XVIII et sa famille au complet ? Quoi encore ?
    Il venait de remarquer Octave et répéta en le fixant avec
des yeux mauvais :
    — Quoi encore, monsieur Sénécal ?
    — Le comte Bertrand…
    — Il me fait dire que tout est prêt ?
    — Oui, sire.
    — Je partirai quand je voudrai et si je veux !
     
    Octave était retourné sur son cheval, près des grilles à
l’entrée de la cour d’honneur, à côté des deux courriers en chapeaux ronds qui
devaient distancer le cortège avant chaque étape pour vérifier qu’on allait y
recevoir l’Empereur dans les meilleures conditions. Il voyait les officiers de
la Garde, là-bas, qui faisaient les cent pas devant un régiment muet. Il vit le
général Drouot, commandant en chef de l’artillerie, monter dans la berline de
tête et en tirer les rideaux pour ne plus rien savoir. Les commissaires
étrangers l’imitèrent, en contournant les troupes au pied des bâtiments, pour
éviter par leur présence affichée de transformer les regards tristes des
grenadiers en regards furibonds. C’était une matinée interminable.
    Enfin !
    À midi l’Empereur sortit sur le perron, Bassano et Belliard
l’entouraient dans une grappe d’aides de camp et de barons. Il y eut un
brouhaha, comme une houle. Napoléon enleva son chapeau pour saluer les soldats
qui levaient le nez vers lui, puis il descendit rapidement l’escalier en fer à
cheval, s’avança en face des troupes qui avaient pris le garde-à-vous sans
qu’on leur en donnât l’ordre. Quelques grognards avaient des larmes, d’autres
reniflaient. L’Empereur leva le bras,

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