L'absent
cathédrale
Saint-Cyr, sur le coteau où grimpait la vieille ville de Nevers. La journée
avait été fatigante et monotone mais cette étape promettait de l’agitation :
plus il s’approchait et mieux il voyait le peuple en foule, au milieu de la
route, qui barrait les portes de la ville.
— Qu’en pensez-vous, lieutenant ?
— Je crois que nous allons enfin être utiles…
— Qu’est-ce qu’ils crient ?
— Je n’en sais fichtre rien mais ils crient !
— J’ai envie d’aller au-devant…
— À votre aise. Hugonnet ! Fournier ! En
reconnaissance avec M. Sénécal !
Octave et les deux chasseurs de la Garde prirent le galop et
foncèrent vers la ville. À mi-parcours ils s’arrêtèrent net. Un autre cavalier
revenait de Nevers, c’était l’un des courriers du convoi parti en estafette il
y a deux heures, essoufflé, rouge, suant, un sourire aux lèvres, qui les
informa :
— Ils sont comme des diables.
— Que braillent ces excités ?
— Vive l’Empereur !
— Allez avertir le lieutenant, nous y allons.
Le peuple de Nevers était descendu dans les rues et les
cortèges se rejoignaient aux portes pour accueillir le convoi annoncé.
Lorsqu’ils parvinrent devant cette foule serrée, à cause de leurs uniformes,
les deux chasseurs provoquèrent un redoublement des vivats. Leurs chevaux
repoussaient du poitrail cette marée compacte d’hommes et de femmes qui
levaient leurs chapeaux, leurs ombrelles, leurs cannes, des marmots sur les
épaules. Le cavalier Hugonnet avisa un bourgeois venu en curieux, la mine
effarée, il tendit le bras et arracha la cocarde blanche de son haut-de-forme
sous les applaudissements et les acclamations. « Dégagez la voie !
dégagez la voie ! » hurlait Octave que personne n’entendait ; il
fallut le renfort de l’escorte entière pour contenir ces enthousiastes et
frayer un chemin de force aux treize voitures, entourées de toutes parts ;
elles montèrent au ralenti les rues en pente, bringuebalées jusqu’à l’ancien
palais des ducs de Clèves. En se glissant sous les ventres des chevaux, au
risque d’être piétinés, des exaltés réussissaient à toucher la portière
armoriée de la voiture impériale, les paumes de leurs mains se plaquaient sur
les vitres. On devait les refouler sans trop de brusquerie mais avec poigne,
écraser du sabot quelques souliers, froisser des robes, distribuer des
bourrades au hasard. Heureusement, un bataillon de ligne sorti de sa caserne
établit la jonction avec les cavaliers à coups de crosse, et l’Empereur,
protégé de cette population qui le regrettait, put quitter sa voiture derrière
un fort cordon de soldats. Il grimpa les marches qui conduisaient, sous une
tour Renaissance, à l’intérieur du palais et il commanda à l’officier du
détachement local :
— Appelez le capitaine de la gendarmerie et le maire,
apportez-moi les journaux, et qu’on fasse du feu !
— Sire, votre logement était prévu dans une hôtellerie
toute proche…
— Et moi je veux du feu dans cette foutue
cheminée !
Octave et le lieutenant rejoignirent l’Empereur et sa suite
dans une vaste salle démeublée, froide. La lumière du soir entrait à peine par
les fenêtres en ogives que protégeaient des grillages. Les soldats de la
garnison s’empressèrent avec les valets, ils allumèrent des torches,
disposèrent des lampes, firent prendre une flambée et déménagèrent des meubles
disparates d’autres pièces pour composer une sorte de salon. Cette nuit, on
allait camper, et Napoléon s’impatientait : où restait le maire ? Et
le capitaine des gendarmes ? Ils avaient dû fendre la foule et se présentèrent
débraillés, la cravate en biais, déférents, pour se soumettre aux questions
rapides de l’Empereur :
— L’opinion publique ?
— Vous avez constaté, sire, écoutez la rue…
— Pour les calmer, ajouta le capitaine des gendarmes,
si vous vous montriez à une fenêtre…
— L’ancienne noblesse ?
— Elle ne fait pas tant la fière, sire, mais elle nous
a imposé le drapeau à fleur de lys sur le balcon de l’Hôtel de Ville…
— Est-elle suivie ?
— Comme on suit une directive de Paris, sire.
— La garnison ?
— Elle a refusé de prêter serment au roi…
Les journaux en disaient davantage, ce qui fit pâlir le
colonel Campbell et ses collègues commissaires. À Clermont-Ferrand les soldats
avaient brûlé le drapeau blanc que la municipalité
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