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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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préparé sur son ordre ce même poison que l’Empereur, en
Russie, portait autour du cou dans un cœur de satin noir. Napoléon
ronchonne :
    — Vous avez mal calculé la dose, Yvan…
    — Sire, quand on veut se tuer on prend un pistolet, et
alors la dose est sûre.
    Le médecin agacé lui tâte le pouls.
    — Donnez-moi quelque chose de plus fort, demande
l’Empereur.
    Yvan ne répond pas mais il félicite Constant de son
initiative : que le pseudo-mourant boive du thé chaud pour se laver
l’estomac, très bien, et qu’il se repose. Là-dessus Yvan tourne les talons,
oublie son chapeau, fend le groupe des serviteurs agglutinés dans les
antichambres et les couloirs. Il ne réplique aux questions que par une
phrase : « Il a fait une frime, voilà, une frime ! »
Pendant ce temps, Octave s’est débarrassé du vase dans les mains d’un commis et
il ouvre en grand une fenêtre. Caulaincourt et Bassano traînent l’Empereur pour
qu’il respire l’air frais de la nuit, cela le ranime un peu. Dans la cour, le
docteur Yvan détache un cheval de son anneau, saute en selle et s’échappe au
grand galop.
    — Comme il est difficile de mourir dans son lit, dit
l’Empereur, livide. Si peu de chose tranche la vie à la guerre…
    — Sire, demande Bassano, pourquoi ce poison ?
    — J’ai toujours envie de vomir…
    On souille un autre vase avant que l’Empereur précise qu’il
avait de la répugnance pour tout autre genre de mort, qui laisse des traces de
sang, des mutilations au visage. Il pensait qu’après sa mort on exposerait son
corps, il avait voulu que ses soldats reconnaissent son visage lisse et calme,
celui qu’ils avaient vu mille fois pendant les batailles.
    Le jour se leva. L’Empereur avait la tête entre les mains,
les jambes nues, les pieds dans ses pantoufles usées, en robe de chambre dans
un fauteuil devant le feu éteint. Il restait immobile. Caulaincourt se permit
de lui rappeler qu’il devait encore signer les ratifications du traité voulu
par les alliés, que Macdonald porterait à Paris. C’est ainsi que Napoléon signa
sans le relire ce long texte qui l’écartait de France sur une île, une île
minuscule qui sentait le romarin mais ressemblait à une cage.

 
CHAPITRE III
En route
    « Un homme n’est appelé à
rien ; il n’a pas plus de devoir et de vocation que n’en ont une plante ou
un animal. »
    Stirner,
    L’Unique et sa
propriété.
     
     
    L’Empereur se résigna. Après un jour de diète, laissant à
Bassano et à Caulaincourt le soin d’arranger les étapes de son voyage, il se
réfugia dans les livres. Enfermé, de son cabinet de travail dont il ne sortait
plus qu’à peine, il organisa le pillage de la bibliothèque du château,
établissant une liste des auteurs à emporter en exil, Cervantès, Fénelon, La
Fontaine, Voltaire, son cher Plutarque dans la traduction de Jacques Amyot, une
collection du Moniteur universel. L’Empereur feuilletait, compulsait,
annotait, marquait des pages, triait lui-même les volumes qu’on mettait en
caisses, et parce que les libraires habituels de Fontainebleau avaient détalé,
Octave fut désigné pour seconder le comte Bertrand dans cette tâche
distrayante, car il avait des lettres. Si Napoléon continuait à déplier des
cartes, ce n’était plus pour disposer des troupes dans un repli de terrain mais
pour se pencher sur des repères géographiques. Il leva les yeux et
demanda :
    — Connaissez-vous cette île, messieurs ? Y a-t-il
un palais ? un château ? une habitation convenable ?
passable ?
    — Nous savons juste la situer, sire.
    — Montrez-moi, Bertrand, je ne la trouve pas…
    — Ici…
    Le comte Bertrand indiqua de l’ongle un point perdu en mer à
côté de la Corse.
    — On dirait un puceron.
    — C’est pourtant l’île d’Elbe.
    — Une île, ça ? Un rocher, oui.
    Napoléon faisait la moue, ses lorgnons sur le nez et le nez
collé contre la carte de la Méditerranée.
    — La côte semble proche, dit-il.
    — Piombino est à environ trois ou quatre lieues d’Elbe.
Voyez, sire…
    — Je vois les rivages de la Toscane. Ces gens ne
m’aiment guère, ils pleurent encore leur grand-duc Léopold. Ils vivent dans un
jardin mais je les sais hostiles.
    — Ils sont aussi rebelles que couards, Votre Majesté
n’a pas à s’inquiéter.
    — Hé ! mon royaume n’est pas si loin de Rome…
    — À quarante-cinq lieues, en effet, et Naples

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