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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Gibraltar jour et nuit pour en déloger les Anglais.
    — Vous avez bien envahi cette péninsule, lui répondit
un Campbell un peu choqué.
    — Oui, pour abolir l’inquisition, les droits féodaux et
les privilèges de certaines classes.
    — À Madrid, à Saragosse, on ne l’a pas compris.
    — Je ne suis pas toujours compris, Campbell.
    Ainsi passait la vie à bord, en discussions de bonne
compagnie où l’on pouvait tout se dire, en promenades monotones sur le pont, en
interminables stations à inspecter la mer et ces oiseaux qui signalent la
proximité des côtes. L’Empereur se levait à quatre heures du matin, il buvait
un café noir très fort. Le lundi 2 mai, comme Octave n’arrivait pas à
dormir dans l’entrepont, il le retrouva avant l’aube. Une tempête ballottait le
navire, Octave avait des difficultés à marcher sans tomber ni rouler de bâbord
à tribord contre les canons.
    — Si la tempête augmente, seûr, disait Ussher,
nous allons devoir jeter l’ancre.
    — Pourquoi pas au large d’Ajaccio ?
    — Ce n’est pas notre route.
    — Et Calvi ? L’eau est profonde à cet endroit et
le port protégé des coups de vent.
    Quand il aperçut Calvi, l’Empereur devint fébrile. Malgré
les paquets de mer et la pluie, il restait accroché au garde-corps. La côte se
rapprochait. Il se souvenait d’un jour maudit de juin 93 :
    — Les nationalistes accusaient ma famille d’être vendue
aux Français, mais la Corse, ils voulaient vous la brader, à vous les Anglais.
Ma mère a dû s’enfuir avec les enfants en pleine nuit, à travers les sentiers,
les fondrières du Campo dell’Oro, des ruisseaux gonflés par les averses,
jusqu’à la tour génoise de Capitello plantée sur les falaises… J’étais
capitaine, j’avais bombardé la citadelle d’Ajaccio et je faisais retraite… J’ai
mis un canot à la mer, j’ai récupéré les fugitifs, nous sommes remontés
ensemble vers Calvi où se rassemblaient les partisans de la république… Pauline
avait treize ans…
    L ’Undaunted tournait un cap de rochers à trois
encâblures de la côte. L’Empereur proposa :
    — Si nous explorions la falaise, captain ? Une
marche nous dégourdirait les jambes et la tête, ne croyez-vous pas ?
    Il n’obtint aucune réponse. Le navire resta pourtant en
panne sept heures devant Calvi, avant de remettre les voiles au vent. Au
cinquième jour de navigation on distingua une tache sur la ligne d’horizon. On
avançait droit dessus. Un bloc de roches noires ébréchées sortait de la mer.
C’était l’île d’Elbe.

 
CHAPITRE IV
En exil
    Porto Ferraio tournait le dos à la mer. Ses maisons
levantines aux fenêtres en fer de lance, grises ou ocre, s’empilaient par
étages sur les pentes d’un cirque rocheux ; pour compléter son allure de
citadelle, des belvédères, des murailles florentines fermaient la ville des
crêtes jusqu’aux eaux assoupies du port. La plupart des rues montaient ;
elles s’achevaient en escaliers rudes, sans rampes. Comme M. Pons de
l’Hérault habitait l’île depuis cinq ans, il avait des gros mollets à force de
grimper, et il grimpait, ce matin-là, il grimpait vers le fort de l’Étoile d’où
l’on voyait la Méditerranée. La vigie avait signalé un navire anglais, M. Pons
voulait se renseigner. Il s’arrêta au milieu d’une ruelle pentue, une sorte de
palier avant une nouvelle volée de marches. Le soleil tapait. Il était en
sueur. Ses cheveux maigres et mi-longs lui collaient au front. Il s’essuya avec
son mouchoir, remonta d’un doigt les lunettes à monture de fer qui glissaient
sur son nez considérable, regarda l’entassement des toits plats et roses qui
dégringolait vers les quais du bassin rectangulaire, protégé comme un lac
intérieur, où s’amarraient les barques des pêcheurs ; puis il reprit son
ascension avec un pas régulier de montagnard. Il rejoignit le général Dalesme,
gouverneur de cette pauvre sous-préfecture, sur la tour du fort crénelé. Il vit
alors un trois-mâts immobile devant le donjon qui défendait le goulet d’accès au
port.
    — Tu as essayé de l’éventrer au canon ? dit
M. Pons au général.
    — Tirs de semonce.
    — Eh bien ?
    — Eh bien rien, vois par toi-même.
    Dalesme lui prêta sa longue-vue pour qu’il étudie le navire
sans pavillon. Avant d’administrer les mines de fer de l’île d’Elbe, qu’il
avait restaurées, Pons de l’Hérault avait servi comme capitaine

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