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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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elle a des vapeurs, elle
a des sueurs, elle ne dîne plus ou trop…
    — Ah, Paoletta ! Il suffirait de l’emmener au bal
ou de lui présenter un aide de camp bien tourné pour la guérir !
Dites-moi, Montbreton, comment me trouvez-vous, moi ?
    — En parfaite santé, sire.
    — Je veux dire : que pensez-vous de cet
ajustement ?
    Il ouvrait son manteau en marchant et montrait son uniforme
composite auquel le chambellan jeta un œil :
    — L’uniforme des chasseurs de la Garde allait autrement
à Votre Majesté.
    — Croyez-vous ?
    — Sans doute.
    — Il était trop voyant et je viens de parcourir un pays
d’assassins !
    Dans les couloirs, il ôta la casquette prussienne qu’il tendit
à Bertrand, et son manteau russe à Octave. Ils entrèrent ensemble dans une
chambre sombre, le soleil passait au travers des persiennes et zébrait les murs
de traits lumineux. Deux domestiques promenaient des bougies allumées le long
des portes et des fenêtres closes pour repérer les courants d’air que Pauline
ne supportait pas, et elle, étendue sur un sofa en forme de cygne, enroulée
dans un cachemire hors de prix de chez Leroy, rue Mandar, se fourrait les pieds
dans le corsage d’une suivante bien en chair pour les réchauffer. Elle tourna
la tête. Elle avait le nez droit des Bonaparte, des longs cils et des lèvres à
croquer. Bertrand la jugeait amaigrie mais Octave eut une bouffée de
chaleur ; rouge comme une écrevisse, il contemplait la princesse Borghèse,
méprisant d’un coup ses amours rustiques.
    — Nabulione ! dit la déesse en se levant.
    Elle ouvrit les bras, son cachemire tomba, elle n’avait plus
froid, Octave vit ses épaules rondes, ses bras et ses jambes dépassaient de sa
tunique à la Vénus coupée selon la dernière mode. Elle avait des muscles longs,
fermes, une peau tendre et tiède, couleur d’ivoire. Elle chaloupait des
hanches, languide, souple, mais on la devinait toute en nerfs, plus sauvage que
princesse. Le reflet des bougies jouait sur les torsades de ses cheveux foncés.
À la vue de son frère, elle rayonnait. Ils s’étreignaient à en suffoquer, il
riait, elle pleurait :
    — Nabulione, pourquoi, dis-moi pourquoi tu as
abdiqué !
    — La légitimité des Bourbons, Paoletta, est une
redoutable puissance…
    — Mais !
    Pauline avait posé sa joue sur la veste autrichienne et elle
repoussa l’Empereur de ses deux mains en roulant des yeux noirs :
    — Quel est cet habit ?
    — Sans lui je serais mort.
    — Retire-le ! Retire-le ou je ne te parle
plus ! Retire-le tout de suite !
    — Monsieur Sénécal, au lieu de rester comme une courge
à nous reluquer, sortez de nos malles un uniforme des chasseurs de la Garde.
    L’Empereur remit son uniforme ordinaire pour ne pas déplaire
à Pauline, puis il s’enferma avec elle jusqu’au soir. Pendant ce temps, sa
suite et les commissaires s’organisaient pour la nuit, une vraie nuit paisible
dans de vrais draps, ce n’était pas trop tôt, mais le chambellan, tracassé,
vint sur le tard confier à Bertrand d’une voix qui chevrotait :
    — Votre maître s’expose, monsieur le comte.
    — J’y vais, Montbreton.
    Napoléon était en haut d’une terrasse entre des
chèvrefeuilles, et il affrontait un attroupement. Les riverains grondaient, un
frénétique s’écria :
    — Où qu’il est, l’infâme ?
    — Me voici ! répondit l’Empereur qui dominait la
scène.
    — C’est toi le monstre ? reprenait une maraîchère.
    — Vous en doutez ?
    Il lança un écu à son effigie que ramassa un mioche, chacun
voulut comparer le profil gravé avec le gros homme de la terrasse. Il y eut pas
mal de doutes, le vrai était moins empâté, il avait une mèche plus fournie sur
le front, un air plus noble, jusqu’au moment où un vieux aux bacchantes grises
leva son bicorne et jeta d’une voix de stentor :
    — Je t’ai vu à Marengo, mon Empereur ! J’étais dragon
sous Kellermann ! Et sous Bessières à Wagram ! On tirait les lièvres
dans les blés en flammes ! Une balle dans le mollet gauche, une baïonnette
dans la cuisse droite ! Des coutures partout ! Un œil crevé à la
Moskova mais je te vois de l’autre !
    L’Empereur choisit ce providentiel grognard comme unique
interlocuteur, et en lui parlant de gloire il parlait à la foule. Il était en
train de retourner l’auditoire quand Bertrand le tira par la manche. Il
grogna :
    — Vous m’exaspérez, Bertrand ! Ils

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