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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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dans la marine
de guerre. Le général lui demanda avec son gros accent limousin :
    — C’est une frégate anglaise, tu es d’accord ?
    — À la forme des voiles il n’y a aucun doute.
    — Maudits rosbifs ! Que nous veulent-ils
encore ?
    Une escadre anglaise avait longtemps bloqué cette île que
Londres convoitait autant que la Corse pour sa position stratégique. Depuis
cinq mois, les nouvelles du continent n’arrivaient plus. Des agents britanniques
avaient poussé les insulaires à la révolte, encouragé des mutineries, livré des
armes en douce. Un régiment de Corses, de Toscans, de déserteurs et d’insoumis
enrôlés contre leur gré s’était insurgé en avril. Ces fripouilles avaient
assassiné leur commandant et Dalesme les avait fait mitrailler par ses
fantassins du 35 e de ligne. Des survivants s’étaient saisis d’un
navire marchand pour fuir, les autres avaient été embarqués de force et jetés
en Italie. La garnison française, quatre cents hommes, s’était enfermée dans
Porto Ferraio et se nourrissait des biscuits ou de la viande salée du magasin.
    Puis les Anglais avaient réclamé l’île, puis les Bourbons
revinrent au pouvoir à Paris, puis un émissaire avait annoncé qu’Elbe
appartenait désormais à l’Empereur vaincu, et que celui-ci allait en prendre
possession. Dalesme se méfiait. Que voulaient, maintenant, les occupants de
cette frégate qui mouillait dans la rade, refusait de répondre et promettait de
rester si le vent ne se levait pas ? La garnison avait pris les armes, les
canons chargés des remparts pointaient l’intrus. La Porte de Mer était fermée
pour interdire le bassin. La Porte de Terre aussi, au débouché du tunnel creusé
sous la roche que surmontait le fort Saint-Hilaire : de ce côté, il suffisait
de remonter le pont-levis qui, par-dessus un canal d’eau de mer, donnait accès
au reste de l’île.
    — Feu ! cria le général Dalesme.
    Des boulets éclaboussèrent la coque de la frégate.
    — La prochaine fois, s’ils restent muets, je brise les
mâts !
    — Oh ! dit M. Pons, qui avait ôté ses
lunettes pour se plaquer un œil à la longue-vue. Il plie la voilure, il va
jeter l’ancre…
    — Donne voir, monsieur l’administrateur.
    — Attends ! Ils hissent un drapeau au grand mât…
un drapeau blanc…
    — Avec une fleur de lys ?
    — Non… Une chaloupe descend de son bossoir, à la poupe…
Des uniformes… Un uniforme bleu…
    — Un Français ?
    — On dirait, mais je ne vois d’ici que des taches de
couleur…
    — On nous apporte peut-être notre nouveau roi.
    — Tu veux rire, Dalesme ! Je vois mal les Anglais
nous livrer Bonaparte comme un vulgaire prisonnier.
    — J’y vais !
    Le général descendit en courant l’escalier du chemin de
ronde et sauta sur le cheval qu’on lui présenta dans la cour : pour aller
plus vite au port, il prendrait au galop la rue en pente qui longe les
murailles.
     
    M. Pons de l’Hérault reprit de son côté le chemin du
port, à pied, par les escaliers des ruelles. Il ronchonnait en marchant vite
pour ne pas manquer l’accostage de la chaloupe étrangère. Il se sentait
persécuté à l’idée que Napoléon vienne s’installer dans cette île où il s’était
réfugié, justement, pour le fuir. Avec son délire d’organisation l’Empereur
allait y semer la gabegie. Que connaissait-il des Elbois ? Rien.
M. Pons, lui, était respecté parce qu’il avait mis ses idées républicaines
à l’épreuve en traitant ses ouvriers comme des citoyens. Il leur avait fait
construire des maisons convenables, un grenier d’abondance, des magasins, des
bateaux pour livrer le minerai à Piombino, et il les payait en grains. L’autre
allait tout gâcher. L’Empereur défait, que les Bourbons lui expédiaient, il le
nommait l’autre avec mépris. Pons avait bien connu le capitaine
Bonaparte au siège de Toulon. Il se faisait alors appeler Marat-Lepeletier Pons
pour honorer deux éminents patriotes ; il appartenait au club local des
Jacobins et commandait l’artillerie de Bandol. Le frère de Robespierre,
Augustin, dit Bonbon, les protégeait tous deux puisqu’ils rivalisaient d’ardeur
républicaine. Et puis, intransigeant sur des principes que les événements ne
changèrent pas, Pons n’avait guère supporté la hauteur affectée de Robespierre,
hâtivement rencontré à Paris, ni plus tard les corrompus du Directoire qui
avaient essayé de l’acheter ; il

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