L'absent
était mandaté, le gredin avait dévalisé la
princesse de Wurtemberg sur la route de Nemours ; épouse de Jérôme
Bonaparte, elle emportait en Allemagne onze caisses d’or et de diamants. Le
tsar Alexandre avait été furieux de cet affront fait à une altesse de sang
royal, ordonné une enquête, la police avait retrouvé l’un des diamants sur le
lit de Maubreuil, dans son logement de la rue Neuve-du-Luxembourg. Octave
apprit également que le comte de Sémallé se méfiait de Louis XVIII, trop
enclin à écouter les conseils perfides de Talleyrand et des Jacobins repentis ;
il pensait que cela mènerait à une catastrophe et il se dévouait exclusivement
au comte d’Artois, lieutenant général du royaume, le seul à ses yeux qui
saurait maintenir une véritable monarchie. Évidemment, Octave dut renseigner le
marquis sur la vie aux Mulini et le comportement de l’Empereur, mais il ne
livra que des vérités choisies, et respira en sachant que La Grange repartait
le soir même à bord de la frégate napolitaine. Il regardait désormais le
marchand d’huile d’une façon différente, heureusement, et songeait aux moyens
de l’utiliser à son insu, par des informations orientées qu’il transmettrait à
Paris. Lorsqu’il voulut rendre compte à l’Empereur, celui-ci était parti à la
recherche d’une résidence de campagne ; il ne regagna les Mulini qu’au
matin, après avoir épuisé en galopades ses aides de camp et ses valets.
Le très mielleux Foureau de Beauregard, médecin des écuries
impériales, veillait à la santé de Napoléon depuis la défection du docteur
Yvan, à Fontainebleau, après la tentative d’empoisonnement. L’homme était
impopulaire parce que ramenant à chaque occasion son savoir, un cuistre, bavard
comme un merle, toujours à colporter des ragots proches de la calomnie. Il
sortit des cuisines en portant un bol fumant, traversa les salons des Mulini
sur toute la longueur du rez-de-chaussée, entra dans la salle de bains au bout
de l’aile droite. L’Empereur se prélassait dans une baignoire d’émail coffrée
de bois exotiques. Foureau présenta son bol à deux mains :
— Que Votre Majesté boive bien chaud, ce breuvage est
excellent pour nettoyer et raffermir ses entrailles.
Napoléon prit le bol, y porta ses lèvres, avala une petite
gorgée et poussa un cri :
— Ah ! Vous voulez me brûler la langue et le
gosier avec votre mixture infernale !
— Du poulet, sire, un bouillon clair…
— Clair mais brûlant !
— Il doit se boire ainsi pour produire un effet…
— Il est produit, l’effet !
— Seule la chaleur peut surmonter et rejeter l’élément
morbide, Hippocrate est formel.
Dans l’eau salée jusqu’au torse, l’Empereur respirait la
vapeur odorante du consommé et le docteur s’en alarma aussitôt :
— Non non ! pas comme cela !
— Quoi encore, monsieur Purgon ?
— En inhalant ces fumées, Votre Majesté avale des
colonnes d’air !
— Vraiment ?
— C’est très mauvais, cet air va tourner dans les intestins
et provoquer des coliques.
— À mon âge, je sais comment il faut boire !
— Sire, ces vapeurs peuvent nuire, si le bouillon
soulage quand il est liquide, d’ailleurs, Aristote lui-même…
— Foutez-moi la paix tous les trois, Hippocrate,
Aristote et vous !
Octave avait hérité du duc de Bassano, qu’il remplaçait en
fait, même si les affaires civiles relevaient du comte Bertrand, le privilège
d’entrer chez l’Empereur sans qu’on l’annonce. Il arriva par la salle des
valets de chambre, qui communiquait avec le jardin, au moment où le médecin
phraseur recevait le bol et son contenu sur le gilet. Le valet Hubert, muet et
stylé, ramassait les morceaux de faïence, avant d’éponger les dalles.
— Charlatan ! hurlait l’Empereur au médecin qui
s’en allait, ennuyé mais quand même obséquieux. Des colonnes d’air !
L’Empereur frappait l’eau du bain de ses paumes.
— Des colonnes d’air ! continuait-il. Vous avez
entendu ça, monsieur Sénécal ?
— Non, sire.
— Bien vous en prenne ! Et chercher Aristote à la
rescousse pour vous faire ingurgiter un bouillon qui cuit les intestins !
Octave ne dérangeait jamais l’Empereur sans raison. Quand le
valet Hubert s’en alla avec ses morceaux de bol et le chiffon mouillé, Napoléon
demanda :
— Fermez la porte-fenêtre, monsieur Sénécal, il y a tellement
d’oreilles qui trament, aux
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