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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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m’accompagnez à l’étage, je vais voir les
progrès de nos peintres, c’est que je tiens à la décoration des appartements de
l’impératrice !
    — L’impératrice…
    — Vous m’en apportez des nouvelles ? Et mon
fils ?
    — Non, sire, non, je veux parler de l’ex-impératrice.
    — Joséphine veut me rejoindre ?
    — Non plus…
    — Terminez vos phrases, bon sang !
    — Fanny, ma femme, m’a dit qu’elle avait été très
malade.
    — Elle est rétablie ? Non ? Elle veut un bon
médecin, si ce genre d’oiseau existe ?
    — Elle vient de mourir à la Malmaison.
    Napoléon resta sans bouger de son fauteuil jusqu’au soir,
sous le long store de la façade. Il tripotait comme un chapelet sa chaîne de
montre tressée avec les cheveux de Joséphine, ne dit pas un mot, repoussa d’un
geste mou les audiences prévues, ne mangea rien, se coucha tôt. Mille souvenirs
avaient défilé sous ses paupières closes.
     
    L’Empereur oublia son chagrin dans l’agitation. Dès le
lendemain il voulut escalader le Monte Giove, dédié à Jupiter, d’où il
dominerait à la fois son île et la mer Tyrrhénienne. Pour courir la montagne,
il exigea un petit cheval de la région, qui savait où poser le sabot dans les
caillasses comme au bord des ravins. Octave s’affolait : comment assurer
la sécurité dans une contrée de forêts denses ? Des assassins pouvaient si
facilement s’y embusquer et disparaître. L’Empereur s’en moquait, il avait trop
besoin d’air pur, de sommets, et là-haut, si les châtaigniers étaient touffus,
tant mieux, il y aurait de l’ombre et du vent : à Porto Ferraio, avec
l’été on étouffait. Il ne refusa tout de même pas l’escorte des lanciers
polonais ; ils abandonneraient leurs montures habituelles pour chevaucher
comme lui ces animaux nerveux, sûrs, rompus au maquis et à ses pièges. Il
partit, guidé par des montagnards silencieux. Seul l’inévitable Campbell
réussit à s’imposer ; après une nuit moite et avant le grand soleil, il
suait déjà à larges gouttes sous sa perruque à rouleaux.
    La troupe galopa longtemps sur des routes en lacets,
pierreuses, cabossées, ne s’arrêtant qu’après cette longue course à Marciana
Alta, un village juché à mi-pente, comme souvent en Corse, avec ces mêmes
demeures sévères qui se pressaient dans des ruelles mal pavées de blocs de
roche. Il fallut abandonner les chevaux à la surveillance des lanciers ;
ils leur donnaient à boire l’eau d’une fontaine qui coulait dans les lichens.
    — Si vous vous rendiez utile, Campbell ? dit
l’Empereur.
    — Certainement.
    — Donnez-moi le bras.
    L’Anglais, les reins brisés par des heures de cheval,
entreprit en boitillant l’ascension, supportant le poids de Sa Majesté,
nullement fatiguée, que réconfortait un décor semblable à celui de son enfance.
Ils s’aident de bâtons taillés dans des branches, ils gravissent un sentier
bordé de murets, boivent avec leurs gobelets de cuir à même les sources qui
rebondissent entre les rochers ; ils foulent des mousses, écrasent des
fougères, s’engagent dans une forêt primitive, parviennent à une chapelle barbouillée
de fresques naïves, qu’encadrent des châtaigniers centenaires et noueux dont
les racines percent le sol et en ressortent comme des serpents. Un ermitage, à
côté, où loge le gardien de ce sanctuaire dédié à la Madone. Celui-ci explique
le chemin, il indique le sommet, cent mètres plus haut, au bout d’un éboulis.
Les promeneurs y grimpent dans un dernier effort, le souffle syncopé, les
jambes lourdes. Sur la crête, ils aperçoivent la Corse, à l’ouest, et les pics
en dentelle du Monte d’Oro. L’Empereur s’assoit sur un rocher, Campbell s’y
jette.
    — Connaissez-vous ce parfum, Master Campbell ?
demande l’Empereur en respirant à pleines narines.
    — Un parfum, sire ? Quel parfum ?
    — Respirez, que diable ! Vous autres, les hommes
du Nord, vous avez le nez bouché ! Ah oui, ce n’est pas sur les falaises
de Douvres qu’on sent autre chose que la vase ! Voyez-vous, même les yeux
fermés, à son parfum je reconnais la Corse. Pourquoi aller ailleurs,
Campbell ? Je suis revenu chez moi pour m’y ancrer.
    — Je comprends…
    — Pfft ! Non non, vous ne pouvez pas comprendre.
Vos landes ne sentent rien ! mon maquis embaume le thym sauvage et les
essences du paradis.
    L’Empereur se lève en s’appuyant sur l’épaule de

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