L'absent
pas son fort et il s’intéressa tout de suite au
débarquement d’une frégate napolitaine arrivée la veille au soir. Des colis
s’amoncelaient devant un peloton de grenadiers de la Garde, méfiants, qui
renforçaient le contingent des douaniers. Cela aussi avait changé. Cambronne
avait réussi à acheminer son bataillon à travers la France et la côte
italienne ; ses six cents grognards étaient venus sur des transports
anglais pour remplacer la garnison de Dalesme, dont la plupart des soldats et
des officiers étaient rentrés en métropole. Ces braves, employés à des tâches
peu guerrières, suaient sous leurs bonnets à poils et redoublaient de zèle. Ils
interrogeaient rudement un Elbois qui venait prendre livraison d’une montagne
de tonneaux. En apercevant Octave, l’homme lui fit des grands signes :
— Monsieur Sénécal ! venez leur dire qui je
suis !
Octave s’avança entre les tonneaux blonds et un entassement
de grain en sacs. Il connaissait le marchand, comme tout le monde, un homme
encore jeune, haut de cinq pieds, avec un visage rond et le nez plat, des
cheveux très noirs. Il s’appelait Alessandro Forli et fabriquait de l’huile
avec les olives qu’il achetait au fermier Vantini.
— Vous avez des ennuis, monsieur Forli ?
— Ne m’en parlez pas, ils ne veulent rien entendre, vos
lascars !
— Les papiers de douane ne sont pas en règle ?
— Mais si ! Ils trouvent anormal que je reçoive
des tonneaux vides ! Je n’y peux rien si nous n’avons pas plus de bois que
de tonneliers, ici ! Eh oui, mon huile, je ne vais pas la livrer dans un
mouchoir plié en balluchon !
Octave arrangea aisément le problème et il en plaisantait
avec le fabricant d’huile d’olive quand retentit derrière son dos une voix
connue :
— Je vois que vous avez retrouvé votre canne, mon cher
Blacé.
Le marquis de La Grange sortait d’un canot de la frégate
marchande, et il montait sur le débarcadère, col ouvert, en gilet, abrité sous
un vaste chapeau de paille très plébéien.
— Blacé ? dit Octave d’une voix éraillée. Je ne
connais personne de ce nom…
— Chevalier ! le signor Forli est notre ami, et
qu’importe votre nouveau nom, Chauvin ou Sénécal.
— Sénécal.
— À la bonne heure ! cela sonne vrai.
Ils allèrent tous les trois se promener sur le chemin de
ronde, d’habitude interdit, mais Octave avait des droits particuliers et les
sentinelles lui donnèrent du salut militaire, ce qui stupéfia La Grange :
— Ma parole, chevalier, vous êtes monté en
grade !…
— J’ai peu de mérite, monsieur le marquis, si vous
saviez…
— Je viens justement pour savoir, chevalier. Dites-moi.
— L’Empereur, enfin, Bonaparte, s’est entouré
d’imbéciles. Quand il demande l’heure à l’ancien gendarme qui lui sert
d’ordonnance, vous savez ce que cet âne lui répond ? « L’heure qui
plaît à Votre Majesté. »
— Je mesure en effet le niveau de l’entourage, dit La
Grange en éclatant de rire, mais vous, quel est aujourd’hui votre emploi,
là-dedans ?
— Celui d’une espèce de majordome, j’observe, j’ai mes
entrées partout, je récite quelquefois des vers à propos… L’autre jour,
Bonaparte maugréait contre sa Cour, alors je lui ai dit une réplique que
j’avais relevée dans un Shakespeare de la bibliothèque : « Celui qui
persiste à suivre avec fidélité un maître déchu est le vainqueur de son
maître. »
— Joli !
— C’est à l’acte III d’Antoine et Cléopâtre…
— M. Sénécal minimise son rôle, intervint
le marchand d’huile. Il a aussi un pouvoir de police et cela se sait.
— Tiens ? s’étonnait La Grange.
— Oui, si l’on veut, répondit aussitôt Octave. J’ai des
lettres et cela m’a servi.
— Eh oui, l’ancienne éducation…
— Je suis supposé m’assurer du bon ordre des choses et
des gens, mais sans titre officiel.
— Parfait ! Vous nous êtes précieux, chevalier.
En se baladant le long du chemin de ronde et loin des
indiscrets, on passa à des confidences plus sérieuses. La Grange s’était
déplacé en personne pour établir une liaison solide entre Paris et ses agents
de l’île. Il donna des nouvelles avant d’en demander, pour que la situation
soit claire. Octave apprit que le redoutable Maubreuil croupissait en prison.
Au lieu d’organiser un coup de main contre Napoléon, dans la forêt de
Fontainebleau, pour quoi il
Weitere Kostenlose Bücher