L'absent
que
remplissait le lit d’Élisa Bonaparte, aux montants de bois hérissés de griffes
et de becs dorés ; de là, par l’antichambre au bas de l’escalier, il
sortit du côté de la rue et se trouva nez à nez avec M. Pons, blême,
rageur, la mâchoire crispée, qui quittait les Mulini d’un bon pas. Octave
l’aborda :
— Je vous ai entrevu dans le jardin…
— Votre Bonaparte ne sait pas vivre !
— Il vous a révoqué ?
— Non, il m’avait convoqué, mais cela revient au même
parce que je vais lui flanquer ma démission !
— C’est aussi grave ?
— Oui mon cher, je ne crache pas, moi, sur ceux qui
m’ont fait confiance !
Ils descendaient ensemble la rue en gradins qu’une escouade
de manœuvres défonçait pour l’adoucir en rampe, et que les voitures puissent y
circuler.
— Quel gâchis ! ronchonnait M. Pons.
— Que vous a demandé Sa Majesté ?
— De l’argent, pardi ! L’argent des mines pour ses
lubies !
— Les mines lui appartiennent…
— Depuis le 11 avril, d’accord, pas avant !
Je lui ai dit, aussi, que les caisses étaient vides, alors il m’a
répondu : vous avez des réserves, je le sais. Comment le sait-il, s’il
vous plaît ?
— Et c’est vrai ?
— Quoi ?
— Que vous avez des réserves.
— Bien entendu ! Dès que nous avons appris la
chute de l’Empire, je me suis empressé de payer mes créanciers et j’ai mis à
l’abri le reste de mes recettes.
— Un beau trésor ?
— Plus de deux cent mille francs, mais cette somme
revient à l’Ordre de la Légion d’honneur qui m’employait, je ne peux moralement
pas en disposer ! Votre maître a fait semblant de ne pas comprendre, ou
alors il n’a pas l’habitude de rencontrer d’honnêtes gens, et il m’a crié en
pleine figure : vous refusez d’obéir ? Vous savez les
conséquences ? Trouver un autre administrateur, c’est facile !
— Là il a raison : vous occupez le poste le mieux
payé de l’île…
— J’ai une parole, moi !
— L’Empereur vous enverra ses gendarmes.
— Ils ont intérêt à être grands et forts, parce que je
saurai les recevoir avec mes mineurs ! La force, Bonaparte ne connaît que
la force ! Et l’argent qui corrompt les faibles !
M. Pons s’enflammait. La présence de l’Empereur allait
attirer sur l’île toutes sortes d’escrocs ; déjà la circulation était
rétablie avec Piombino et l’Italie, des navires apportaient chaque jour des
matériaux de construction, les étrangers débarquaient comme ils voulaient, le
commerce allait s’épanouir et l’argent circuler. Déjà l’Empereur employait des
Elbois comme chambellans ou officiers d’ordonnance avec des appointements comme
ils n’en avaient jamais rêvé. « Personne n’est riche, ici, disait
M. Pons, et ce luxe va gâter des femmes et des hommes habitués à une vie
simple. »
Pour son service, Octave rôdait le matin sur les quais. Il
contrôlait l’arrivée des bateaux qui déchargeaient à Porto Ferraio leurs
marchandises et leurs passagers, des négociants génois, un architecte de
Livourne, des artistes à la recherche d’une rente, des aventuriers ou des
entrepreneurs en mal de chantiers, l’inventeur d’un village en bois quand on
coloniserait les îlots voisins, des simples visiteurs en majorité anglais ou
italiens, des lords, des comtesses romaines qui espéraient obtenir une audience
du grand homme. Ceux-ci, lorsqu’ils n’étaient pas reçus, se consolaient en
achetant des bustes en albâtre de Napoléon dans la récente boutique d’un
artisan florentin. Une nouvelle auberge de vingt lits venait d’ouvrir pour
accueillir ces généreux étrangers. Les pêcheurs, les commerçants commençaient à
s’enrichir ; plus rien n’était gratuit, plus rien n’était spontané, les
prix montaient avec la tentation : les Elbois espéraient tous en profiter.
Octave constatait chaque jour que Pons de l’Hérault voyait juste. Les mœurs des
indigènes se modifiaient vite, ils devenaient même voleurs quand une occasion
se présentait.
Le jour où M. Peyrusse fit amener de l’ Undaunted les fonds qu’il apportait de Fontainebleau, il renversa les caisses dans son
logement des Mulini. Protégés par de la paille, il y avait une quantité de sacs
de mille napoléons d’or. La surveillance avait été renforcée, mais quand le
trésorier eut mis son trésor à l’abri, un garde national nommé Paolini,
savetier de
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