Labyrinthe
torrent.
Le rêve changeait. Cette fois, au lieu d'une multitude de visages prenant forme dans les flammes, elle n'en voyait plus qu'un, celui d'une jeune femme à l'expression douce autant que volontaire, qui s'efforçait de reprendre le livre qu'Alice tenait entre ses mains.
Elle chantait d'une voix enchanteresse.
Bona nuèit, bona nuèit
Pas d'étreinte glaciale autour de ses chevilles pour l'attirer vers le bas, cette fois. Le feu ne la réclamait plus. Puis, elle montait dans les airs comme une spirale de fumée, emportée par les bras minces et vigoureux de la jeune femme. En sûreté.
Braves amics, pica miéja-nuèit …
Alice souriait, alors qu'elles s'élevaient ensemble vers la lumière, abandonnant ce bas monde au-dessous d'elles.
44
Carcassona
J ULHET 1209
Alaïs fut réveillée dès potron-jaquet par les bruits de scies et de coups de marteau qui montaient de la cour. De sa fenêtre, elle vit les coursives et les parapets de bois en construction sur les murailles du Château comtal.
L'impressionnante carcasse prenait rapidement forme. Pareilles à un promenoir couvert suspendu en plein ciel, ces coursives constituaient un point névralgique du haut duquel les archers pouvaient décocher une pluie de flèches sur l'ennemi, dans le cas hypothétique où il parviendrait à ouvrir une brèche dans les murs de la Cité.
Après s'être promptement vêtue, Alaïs descendit dans la cour. Dans les forges, les feux rugissaient. Marteaux et enclumes résonnaient des épées que l'on façonnait. Les forgerons s'interpellaient par de brèves interjections alors que les haches, les cordes et les contrepoids des pèireras – les catapultes – et des trébuchets, étaient prêts à être assemblés.
Devant les écuries, elle aperçut Guilhem et en eut le cœur mortifié. Regardez-moi . Il ne la vit pas, ni même se retourna. Elle esquissa un geste pour lui faire signe, mais le manque de courage l'incita à laisser retomber son bras. Elle ne s'abaisserait pas à quémander son affection quand il la lui refusait.
L'agitation industrieuse du Château comtal n'avait d'égale que celle de la Cité. Des pierres venues des Corbières étaient empilées haut sur la grand-place pour l'approvisionnement des catapultes et des trébuchets. Une odeur âcre d'urine montait de la tannerie où des peaux étaient préparées afin de protéger les coursives du feu des archers. Une colonne ininterrompue de charrettes entrait par la porte Narbonnaise, apportant vivres et provisions en vue du siège annoncé : viandes salées de La Piège et du Lauragais, vins de Carcassès, orge et blé des plaines, haricots et lentilles des marchés de Sant-Miquel et de Sant-Vicens.
Un sentiment de détermination et de fierté sustentait l'ensemble de ces activités. Seuls les funestes nuages noirs qui venaient de la rivière et des paluds, dont les moulins et les cultures avaient été brûlés sur l'ordre de Trencavel, rappelaient l'imminence de la menace pesant sur les habitants.
Alaïs attendait Sajhë à l'endroit convenu, l'esprit taraudé des questions qu'elle entendait poser à Esclarmonde, qui virevoltaient dans sa tête comme une volée de moineaux. Lorsque l'enfant apparut, l'impatience lui nouait la gorge.
Elle le suivit dans des rues sans noms, à travers le bourg Sant-Miquel, jusqu'au moment où ils parvinrent à un étroit passage ouvert à même les murs extérieurs. Le vacarme produit par les manœuvriers occupés à creuser autour des murailles le fossé qui devait les garantir des attaques ennemies était si intense que Sajhë dut crier pour être entendu.
« Menima vous attend à l'intérieur, déclara-t-il avec solennité.
— N'entres-tu pas avec moi ?
— Elle m'a demandé de vous accompagner jusqu'ici, puis d'aller quérir l'intendant Pelletier au Château comtal.
— Cherche-le dans la cour d'honneur.
— Entendu, acquiesça l'enfant. Nous nous reverrons plus tard. »
Alaïs poussa la porte, se manifesta de la voix en cherchant des yeux Esclarmonde, puis s'avança d'un pas précautionneux. Dans la pénombre, elle distingua une silhouette, assise dans un coin de la pièce.
« Entrez donc, dit Esclarmonde d'une voix où perçait son sourire. Je crois que vous connaissez déjà Siméon.
— Siméon ? Si tôt ? s'écria-t-elle joyeusement en se précipitant pour lui prendre les mains. Quelles sont les nouvelles ? Quand êtes-vous arrivé à Carcassona ? Où logez-vous ?
— Que de questions !
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