Labyrinthe
grosses pierres blanches qui parsemaient le chemin évitaient à ceux qui l'empruntaient de glisser sur la vase traîtresse. Alaïs le suivit prudemment jusqu'à l'orée des bois s'étendant en contrebas des murs de la Cité.
Sa destination était une clairière isolée où elle savait que poussaient les plantes les plus recherchées. Arrivée sous les frondaisons, Alaïs ralentit le pas et, tout en repoussant distraitement le lierre qui obstruait son chemin, s'imprégna avec délectation des grisantes odeurs de forêt.
Dépourvus de toute présence humaine, les bois n'en débordaient pas moins de couleurs et de sons. L'air vibrait du gazouillis des roitelets, des linottes et des étourneaux. Brindilles et feuilles sèches craquaient sous ses pas. De temps à autre, un lapin détalait, ne laissant à la vue qu'une touffe de poils blancs, quand il plongeait à couvert dans les massifs de fleurs. Sur les plus hautes branches, des écureuils au pelage roux s'appliquaient à décortiquer des pommes de pin dans une pluie d'aiguilles sèches embaumant le sous-bois de leur senteur poivrée.
Au moment où elle atteignit la clairière, Alaïs avait déjà chaud. C'était un îlot de terre nue donnant directement sur l'Aude. S'étant soulagée de son panièr , elle se massa un instant le bras, là où l'anse sciait la peau, puis retira sa cape pour l'accrocher à la branche d'un saule. De son mouchoir, elle s'épongea le visage et le cou. Elle alla mettre la flasque de vin au frais, à l'ombre d'un arbre.
Les parois vertigineuses du Château comtal culminaient au-dessus d'elle, dominées par la masse anguleuse et sévère de la Tour Pinte. Alaïs se demanda si son père était éveillé, et s'il avait rejoint le vicomte dans ses appartements. Levant la tête vers ce qui était aussi la tour de guet, elle chercha sa chambre du regard. Guilhem dormait-il encore ? À moins qu'il ne fût déjà à sa recherche…
Elle contempla la voûte feuillue, et comme chaque fois qu'elle se rendait à la clairière, la proximité de la Cité la surprit. Dans ce décor abrupt se côtoyaient deux mondes opposés. Là-haut, dans les rues et les couloirs du Château comtal, tout n'était que bruit et agitation ; ici, au royaume des elfes, régnait une quiétude que rien ne venait troubler.
Ici, elle se sentait chez elle.
Alaïs retira ses chaussons de cuir. L'herbe mouillée de rosée, qui lui chatouillait les orteils et la plante des pieds, lui parut délicieusement fraîche. Dans ces moments de plaisir, ses pensées à propos de la Cité, ses préoccupations domestiques, toute contingence sociale ou familiale abandonnaient ses pensées.
Elle apporta ses outils sur la berge, au bas de laquelle se dressait un massif d'angéliques. Leurs feuilles d'un vert éclatant, parfois plus grandes que la main, projetaient sur les eaux une ombre incertaine. Leurs tiges rouges et cannelées se dressaient dans la vase comme un rang de soldats au garde-à-vous.
L'angélique n'a pas son pareil pour purifier le sang et protéger des infections. Esclarmonde, son amie et mentor, lui avait répété maintes et maintes fois l'importance de cueillir les plantes médicinales sitôt que l'occasion se présentait. Quand bien même la Cité serait exempte d'épidémie, qui peut dire de quoi les lendemains sont faits ? Un mal risquait de survenir à l'improviste, au moment où l'on s'y attendait le moins. Et comme toujours, Esclarmonde parlait d'or.
Ses manches retroussées, Alaïs glissa sur le côté son couteau de chasse qui l'aurait gênée dans ses mouvements. Elle natta ses cheveux qui lui tombaient sur le visage, retroussa ses jupons jusqu'à la taille et entra finalement dans l'eau. Le froid lui glaça les chevilles, si saisissant qu'elle en eut la chair de poule et le souffle coupé.
Sans perdre un instant, Alaïs mouilla ses bandelettes, et les étendit sur la rive. Puis, munie de son déplantoir, elle s'attaqua aux racines d'une angélique. Peu après, la plante cédait avec un bruit de succion. Les tiges furent aussitôt tronçonnées à l'aide d'une hachette, les racines enveloppées dans un linge qu'elle déposa au fond de son panier, et des fleurs, à l'odeur si singulière, elle fit un tas soigneusement rangé dans un autre chiffon. Une fois débarrassée des coupes inutiles, elle recommença l'opération. En peu de temps, ses mains furent vertes de chlorophylle, et la vase ruisselait de ses avant-bras.
Sa récolte d'angéliques achevée,
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