Labyrinthe
garder les yeux ouverts.
— Souhaitez-vous être consolé, paire ? » s'enquit-elle avec précaution.
Pelletier se ménagea un faible sourire et, durant un bref instant, resplendit l'homme qu'il avait été.
« J'ai bien ouï les paroles des Bons Chrétiens . J'ai appris les mots du melhorer 1 et du consolament … Je suis né chrétien et mourrai comme tel, mais non point dans l'étreinte corrompue de ceux qui portent la guerre sous nos murs en invoquant le nom de Dieu. Par la grâce de notre Seigneur, si je vécus en homme de bien, je me joindrai en Paradis à la glorieuse assemblée des esprits. »
Une quinte de toux le submergea, cependant qu'Alaïs laissait errer sur la chambre un regard désespéré. À une servante elle ordonna de prévenir le vicomte que l'état de son père avait empiré. Sitôt la jeune fille partie, elle héla Rixende.
« Je veux que vous alliez quérir un parfait . J'en ai aperçu quelques-uns dans la cour un peu plus tôt. Dites-leur qu'il y a céans un homme qui désire recevoir le consolament . »
Le visage de la servante prit aussitôt une expression terrifiée.
« Nul ne saura vous blâmer d'avoir porté un message, la rassura-t-elle. Et il ne sera point utile de revenir avec eux. Hâtez-vous, Rixende, le temps presse. »
Un mouvement de l'intendant attira l'attention d'Alaïs.
« Qu'y a-t-il, paire ? Je suis près de vous. »
Il voulait parler, mais les mots semblaient se morceler dans sa gorge sans lui laisser le temps de les prononcer. Alaïs lui versa un peu de vin dans la bouche qu'elle essuya délicatement avec un linge humide.
« Le Graal est la parole de Dieu, Alaïs. C'est ce que Harif tenta de m'enseigner, sans que je l'eusse oncques compris. Sans le merel … la vérité du labyrinthe est un faux chemin.
— Qu'en est-il de ce merel ? le pressa-t-elle pour tenter de comprendre ce que son père voulait dire.
— Vous étiez dans le vrai, filha . Je fus trop obstiné. J'aurais dû vous laisser départir pendant que l'occasion nous était encore donnée. »
Alaïs se débattait intérieurement pour tenter de comprendre ces propos sibyllins.
« Quel chemin, père ?
— Je ne l'ai point vue, murmurait-il, et ne la verrai point. La grotte… rares sont ceux qui l'ont vue. »
Au désespoir, Alaïs se tourna vers la porte.
Que fait Rixende ?
Dans le couloir retentirent soudain des bruits de pas précipités. Rixende apparut, suivie de deux parfaits . Pour l'avoir aperçu chez Esclarmonde, Alaïs reconnut le plus âgé, avec sa grande barbe et ses yeux pleins de bonté. Les deux hommes étaient revêtus d'une robe indigo serrée à la taille par des cordons ornés d'une boucle en forme de poisson.
Il s'inclina.
« Dame Alaïs, est-ce votre père, l'intendant Pelletier, qui requiert le consolament ? » Comme la jeune femme acquiesçait : « A-t-il le souffle pour parler ?
— Il en trouvera la force. »
Des bruits confus se firent encore entendre dans le couloir alors que le vicomte apparaissait sur le seuil de la chambre.
« Messire, bredouilla Alaïs, alarmée. Mon père a demandé la présence de parfaits . Il souhaite mourir sereinement. »
Une lueur d'étonnement passa dans l'œil du vicomte. D'un signe, il enjoignit un domestique de refermer la porte.
« Quoi qu'il en soit, je resterai. »
Alaïs soutint son regard jusqu'à ce que le parfait officiant auprès de son père s'adressât à elle :
« L'intendant Pelletier est en grande douleur, mais son esprit est fort et son courage persiste. Aurait-il nui à notre église ? Lui est-il redevable de quelque manière ?
— C'est un protecteur de tous les amis de Dieu. »
Alaïs et le vicomte se tinrent en retrait, alors que le parfait s'approchait du lit pour se pencher sur le mourant. Les paupières de Pelletier battirent précipitamment pendant que, dans un souffle, il psalmodiait le melhorer .
« Faites-vous le vœu d'observer les préceptes de justice et de vérité, de vous consacrer à Dieu et à l'Église des Bons chrétiens ?
— J'en… fais le vœu », parvint à articuler l'intendant.
Le parfait posa alors sur le front du moribond un parchemin où était écrit le Nouveau Testament.
« Puisse Dieu vous bénir, puisse-t-il faire de vous un bon chrétien et vous conduire à une juste fin. »
À l'issue de quoi, il récita le benedicite puis, par trois fois l' adoremus .
Alaïs était émue par la simplicité de la cérémonie. Quant au
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