Labyrinthe
vicomte, il regardait fixement devant lui, faisant à l'évidence un grand effort de volonté pour maîtriser ses émotions.
« Bertrand Pelletier, êtes-vous prêt à recevoir le don de prière de notre Seigneur ? »
L'intendant murmura son assentiment.
D'une voix haute et claire, le parfait récita par sept fois le pater noster , ne s'interrompant que pour permettre à Pelletier de produire les réponses appropriées.
« Ceci est la prière que Jésus-Christ apporta sur Terre et enseigna aux Bons Homes . Ne jamais manger ni boire sans dire cette prière. Et si vous faillez à votre devoir, il vous faudra alors faire pénitence. »
Pelletier s'efforça d'acquiescer. Le sifflement creux qui montait de sa poitrine s'était amplifié comme le vent d'automne soufflant dans les arbres morts.
Le parfait se mit à lire l'évangile selon Jean 2 :
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu. Et le verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. » La main de Pelletier eut un mouvement saccadé, alors que le parfait poursuivait sa psalmodie : « …et tu connaîtras la vérité et la vérité fera de toi un homme libre. »
Brusquement, Pelletier ouvrit grand les yeux.
« Vertat …, murmura-t-il. Oui… la vérité… »
Alaïs lui saisit la main, éperdue, mais il s'éloignait, la lumière abandonnait son regard. À peine eut-elle conscience du ton précipité du parfait , qui semblait craindre de manquer de temps pour parachever la cérémonie.
« Il doit prononcer les derniers mots, pressa-t-il Alaïs. Assistez-le.
— Paire , il vous faut… »
La douleur lui ôtait la voix.
« Pour les péchés… que j'ai commis… en paroles ou en actes… je demande pardon… à Dieu… à l'Église… à tous ceux ci présents. »
Avec un visible soulagement, le parfait posa les mains sur la tête de Pelletier et lui donna le baiser de paix. Alaïs retenait son souffle. Par la grâce du consolament descendant sur lui, le visage de son père avait emprunté les douceurs de la sérénité. L'instant était à la transcendance, à la compréhension. À cette heure, son esprit était au renoncement de son corps malade et à la Terre qui l'y retenait.
« Son âme est prête, » annonça le parfait .
Alaïs acquiesça et vint s'asseoir près de son père pour lui tenir la main. Le vicomte prit place de l'autre côté du lit. Bien qu'à peine conscient, Pelletier semblait sentir leur présence.
« Messire ?
— Je suis céans, Bertrand.
— Carcassona ne doit point tomber.
— Je vous donne ma parole, au nom de l'amour et des obligations que nous avons partagées durant de si nombreuses années, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. »
Pelletier tenta de lever la main.
« Ce fut un honneur que de vous servir. »
Alaïs vit les yeux du vicomte se remplir de larmes.
« De cela, je dois vous rendre grâce, mon vieil ami.
— Alaïs ?
— Je suis près de vous, père », s'empressa-t-elle de répondre.
Toute couleur avait quitté le visage de Pelletier. Sa peau s'affaissait en replis cendrés sous ses yeux.
« Nul homme n'eut de fille semblable à vous. »
La vie quitta son corps dans un dernier soupir. Puis, le silence.
L'espace d'un instant, Alaïs ne bougea, ne respira, ne réagit d'aucune façon. Puis une indicible douleur grandit en elle, la submergea, la posséda jusqu'à la faire éclater en de longs sanglots.
1. Sorte de génuflexion que le croyant faisait devant le parfait. (N.d.T.)
2. Seul évangile reçu par les cathares. (N.d.T.)
59
Un soldat apparut.
« Seigneur Trencavel…
— Que se passe-t-il ?
— L'on a appréhendé un homme place du Plô, messire, au moment où il tentait de soutirer de l'eau. »
D'un signe, le vicomte fit comprendre au soldat qu'il irait châtier l'impudent, puis s'adressa à Alaïs :
« Je dois m'en retourner, dame. »
Exténuée par les larmes qu'elle venait de verser, la jeune femme acquiesça.
« Je veillerai à ce qu'il soit dignement enterré et que lui soient rendus les honneurs qui seyent à son rang. Ce fut un homme vaillant, un loyal conseiller et un ami fidèle.
— Son appartenance à notre Église ne requiert rien de tout cela, messire. Sa chair n'est plus rien car son esprit s'en est jà allé. Il souhaiterait que vous vous préoccupiez des vivants, déclara Alaïs.
— S'il en est ainsi, voyez-y de ma part un acte d'égoïsme, car j'entends que mes derniers
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