Labyrinthe
servantes s'empressant autour de lui, et d'une voix réclamant Alaïs à cor et à cri.
Il eut la sensation de mains qui le soulevaient pour le transporter hors de la salle. Le visage de François apparut dans son champ de vision, pour disparaître l'instant suivant. Il crut aussi reconnaître Alaïs lançant des injonctions, bien que le son de sa voix lui parvînt de très loin et qu'elle s'exprimât dans une langue qu'il ne comprenait pas.
« Alaïs…, appela-t-il, la main tendue dans les ténèbres de ses yeux clos.
— Je suis céans, père. Nous vous conduisons à votre chambre. »
Il sentit les bras vigoureux qui le hissaient, l'air nocturne sur son visage pendant qu'il franchissait la cour d'honneur.
La progression fut lente. Les spasmes qui lui tordaient les entrailles étaient plus violents, plus douloureux que le précédent. Il sentait déjà la pestilence faire en lui son œuvre, frelatant son souffle et ses humeurs.
« Alaïs… », murmura-t-il, des accents de peur dans la voix.
Sitôt arrivés dans les appartements de son père, Alaïs donna l'ordre à Rixende d'aller chercher François et de lui rapporter les potions qu'elle gardait dans sa propre chambre. À deux autres servantes elle demanda de l'eau devenue si précieuse.
L'intendant fut allongé sur son lit. De ses vêtements maculés de nourritures, Alaïs fit un tas pour être brûlé. La puanteur qui entourait son père semblait sourdre par les pores de sa peau. Les crises de dysenterie devenaient plus fréquentes et sévères, sang et purulence prenant le dessus. Alaïs eut beau commander de faire brûler lavande et romarin, rien ne masquait la gravité de son état.
Rixende revint promptement avec les potions et prêta la main à la préparation d'une fine pâte constituée d'eau chaude et de myrtille séchée. Ayant recouvert son père d'un drap blanc, elle versa une cuillerée de liquide entre ses lèvres blafardes.
À la première tentative, l'intendant régurgita violemment. S'il parvint à avaler la seconde, ce fut au prix de terribles spasmes qui le secouèrent tout entier.
Le temps avait perdu son sens, ni précipité ni lent, alors qu'Alaïs s'évertuait à retarder la progression de la maladie. À minuit, le vicomte apparut dans les appartements.
« Quelles sont les nouvelles, dame ?
— Il est fort mal allant, messire.
— Vous faut-il de l'aide, celle d'un apothicaire ou d'un médecin ?
— Seulement de l'eau si cela est possible. J'ai mandé Rixende afin de quérir François, mais à cette heure, il n'est point venu.
— Nous y veillerons. »
Trencavel lança un regard en direction du lit.
« Comment un tel mal a-t-il pu si promptement s'emparer de lui ?
— Il est malaisé de savoir pourquoi telle maladie frappe durement l'un et affecte à peine l'autre, messire. Son séjour en Terre sainte l'a, m'a-t-on dit, amoindri et rendu très vulnérable aux embarras gastriques. Dieu fasse que ce mal ne se répande point, ajouta-t-elle après une brève hésitation.
— Vous pensez donc qu'il survient conséquemment au siège que nous subissons ? » Comme Alaïs acquiesçait, il ajouta : « J'en suis fort marri. Dépêchez quelqu'un auprès de moi s'il survient quelque changement dans sa condition. »
Tandis que les heures se succédaient, se relâchait l'emprise de l'intendant sur sa propre vie. Il avait quelques moments de lucidité, au cours desquels il semblait comprendre la gravité de son état. Le reste du temps, il demeurait inconscient.
Peu avant l'aube, son souffle devint saccadé. Alaïs, qui somnolait à son chevet, en fut immédiatement alertée.
« Filha… »
En lui touchant le front et les mains, elle comprit que la fin était imminente. La fièvre l'avait abandonné, lui laissant la peau glaciale.
Son âme lutte pour se libérer.
« Aidez-moi… à m'asseoir », parvint-il à souffler.
Avec l'aide de Rixende, Alaïs le mit sur son séant. L'espace d'une nuit, la maladie l'avait métamorphosé en vieillard.
« Ne parlez point, murmura-t-elle. Préserver vos forces vous faut.
— Alaïs, l'admonesta-t-il doucement. Vous savez que mon heure est venue. »
Tandis qu'il s'efforçait de respirer, sa poitrine s'éclaboussait de ses expectorations. Des cernes jaunes entouraient ses orbites devenues creuses, et des boursouflures brunâtres se formaient sur son cou et ses mains.
« Irez-vous quérir un parfait ? Je voudrais une bonne fin, chuchota-t-il en s'efforçant de
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