Labyrinthe
chambre qu'elle croyait être sienne à jamais.
Elle comprit qu'elle n'y reviendrait jamais.
Debout devant la bière à la lueur hésitante des chandelles, Oriane n'éprouvait rien.
Enjoignant aux veilleuses de se retirer, elle se pencha vers son père en affectant de lui baiser le front, tandis que sa main faisait subrepticement glisser l'anneau labyrinthique qu'il portait encore au pouce, n'osant croire qu'Alaïs fût assez stupide pour négliger de s'en emparer quand elle en avait eu la possibilité.
Elle se redressa et glissa l'anneau dans sa poche. Réajustant son vêtement, elle fit une génuflexion, se signa, puis se mit en quête de François.
60
Alaïs se hissa sur le rebord de la fenêtre. L'idée de ce qu'elle allait entreprendre lui donnait le vertige.
Tu vas tomber.
Et quand bien même, quelle importance, à présent ? Son père était mort ; Guilhem à jamais perdu. Tout compte fait, le jugement que l'intendant portait sur son gendre s'était avéré.
Qu'ai-je à perdre de plus ?
Retenant son souffle, elle se laissa glisser, jusqu'au moment où elle sentit le toit en contrebas sous son pied. Là, murmurant une prière, elle joignit bras et jambes et se laissa tomber. Elle atterrit avec un bruit sourd. Comme ses pieds glissaient sur les tuiles, elle rampa, tout en cherchant désespérément un objet, une tuile brisée, n'importe quoi pour s'y agripper.
Cela lui sembla durer une éternité. Voilà qu'après un choc violent, elle s'immobilisa. L'ourlet de sa robe s'était accroché à un clou. Elle demeura un instant immobile, n'osant faire un geste. Elle sentit la tension de l'étoffe prête à céder à tout moment.
Elle observa le clou. Parviendrait-elle à l'atteindre qu'il lui faudrait ses deux mains pour décrocher l'ourlet entortillé autour de la pointe de métal. Un risque impossible à prendre. La seule solution consistait à renoncer à son vêtement et tenter de remonter jusqu'à la faîtière qui reliait le mur extérieur du Château comtal au côté occidental. De là, elle pourrait se glisser entre les planches des hourds. Les ouvertures dans les murs de défense étaient étroites, mais elle était mince. Cela valait la peine d'essayer.
Évitant les mouvements brusques, elle se glissa jusqu'au clou et tira sur le tissu jusqu'à ce qu'il commençât à se déchirer. Elle s'évertua, d'abord d'un côté, puis de l'autre. Enfin un coin de sa jupe s'arracha qu'elle abandonna au clou. Elle était libre, sans être tirée d'affaire pour autant.
Plaquée contre la toiture, elle se mit à ramper sur les coudes et les genoux. Des gouttes de sueur perlaient sur son front et sa poitrine, où elle avait dissimulé la copie du parchemin. Le rude contact des tuiles lui écorchait la peau.
Elle se hissa ainsi peu à peu, jusqu'à atteindre les ambans , auxquels elle s'agrippa avec un indicible sentiment de soulagement. Puis elle ramena les genoux pour se retrouver presque accroupie sur le toit, coincée dans le coin entre les créneaux et le mur. L'ouverture était plus étroite qu'elle l'avait escompté, pas plus profonde qu'un empan et peut-être large de trois. Elle étendit néanmoins une jambe, passa la seconde pour s'assurer un appui, puis se faufila à travers l'ouverture. La bourse qu'elle portait à la taille avait beau entraver ses mouvements, elle poursuivit sa progression.
Faisant fi de ses membres endoloris, elle se releva promptement et chemina le long de la barricade. Bien qu'elle fût convaincue que les gardes ne la trahiraient pas auprès d'Oriane, elle n'en avait pas moins hâte de quitter le Château comtal et gagner Sant-Nasari.
Après avoir vérifié que personne ne se trouvait en bas, elle descendit prestement l'échelle et, sans attendre de toucher le sol, sauta. Ses jambes se dérobèrent sous elle, et elle tomba pesamment sur le dos, le souffle coupé.
Elle jeta un coup d'œil à la chapelle : aucun signe d'Oriane ou de François. Rasant les murs, elle traversa les écuries et s'arrêta à la stalle de Tatou. Alaïs mourait de soif. Elle aurait aussi aimé abreuver sa jument, mais le peu d'eau qui restait était réservé aux chevaux de combat.
Les réfugiés avaient envahi les rues. Alaïs se couvrit la bouche et le nez pour se garantir des puanteurs ambiantes de souffrance et de maladie qui se répandaient par les rues comme un brouillard empoisonné. Des blessés, hommes et femmes, des dépossédés serrant leurs enfants dans leurs bras, la
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