Labyrinthe
Sois courageuse et reste à l'endroit où tu es jusqu'au moment où je viendrai te quérir. Ne va nulle part avec qui que ce soit, m'entends-tu ? Avec qui que ce soit.
— Que vont-ils me demander ? dit l'enfant d'une voix flûtée.
— Ton nom, ton âge, répondit Sajhë en lui répétant en détail ce qu'elle devait retenir. Je suis connu comme faisant partie de la garnison, et nul n'est censé établir de relation entre nous. Au moment où la question te sera posée, réponds que tu ignores qui est ton père, que Rixende était ta mère et que tu as vécu toute ta vie à Montségur. Quoi qu'il advienne, ne fais oncques mention de Los Seres. Sauras-tu te rappeler tout cela ? »
Bertrande opina de la tête.
« Tu es très sage. » Puis, afin de la rassurer, il ajouta : « Quand j'avais ton âge, ma grand-mère avait coutume de me donner des messages à transmettre, et elle me les faisait toujours répéter jusqu'à ce que je les eusse parfaitement retenus. »
L'enfant eut un pâle sourire.
« Mamà a dit que vous avez une mémoire extraordinaire.
— Cela est vrai, plaisanta-t-il. Il est possible qu'on t'interroge à propos des Bons Homes et de leurs croyances, poursuivit-il, redevenu grave. Réponds aussi franchement que tu le peux, ainsi tu ne te contrediras point. Tu ne leur révéleras rien qu'ils ne sachent déjà. » Il hésita, avant de lui faire une dernière recommandation : « Souviens-toi bien de jamais évoquer Alaïs ou Harif. »
À ces mots, les yeux de Bertrande se mouillèrent de larmes.
« Et si les soldats fouillent la citadelle et la trouvent ? Que feront-ils d'elle et des autres ?
— Cela ne surviendra point, s'empressa-t-il de répondre. Rappelle-toi, Bertrande. Quand les inquisiteurs en auront fini avec toi, ne t'éloigne surtout pas, je viendrai te quérir sitôt que je le pourrai. »
À peine Sajhë eut-il le temps d'achever sa phrase qu'un soldat l'entraîna vers l'arrière et le força à descendre vers le village, tandis que Bertrande était emmenée dans la direction opposée.
On le poussa vers un enclos où il retrouva Pierre-Roger de Mirepoix qui avait déjà été interrogé. Dans l'esprit de Sajhë, ce signe de courtoisie était de bon augure : il laissait présager que les termes de la reddition seraient respectés, et les membres de la garnison traités comme des prisonniers de guerre et non comme des criminels.
Tout en se mêlant à la troupe en attente d'être interrogée, Sajhë ôta de son pouce l'anneau de pierre pour le dissimuler sous son vêtement. Il en conçut aussitôt une étrange impression de dénuement, tant il est vrai qu'il s'en était rarement séparé depuis que Harif le lui avait dévolu, vingt ans plus tôt.
Les interrogatoires se déroulaient dans deux tentes séparées. Deux moines attendaient pour attacher une croix jaune sur le dos de tous ceux trouvés coupables d'avoir fraternisé avec les hérétiques, à l'issue de quoi ils étaient emmenés vers un autre enclos comme des animaux au marché.
Il était clair qu'ils n'avaient nullement l'intention de relâcher quiconque avant que chacun, du plus jeune au plus vieux, fût interrogé. Cela risquait de durer des jours.
Quand vint le tour de Sajhë, on lui permit de s'avancer jusqu'à la tente. Arrivé devant l'inquisiteur Ferrier, il attendit de nouvelles instructions.
Le visage cireux du moine était dénué d'expression. De Sajhë il requit le nom, l'âge, le rang et le lieu de résidence, cependant que sa plume d'oie courait sur le parchemin.
« Croyez-vous au Paradis et à l'Enfer ? demanda-t-il sans ambages.
— J'y crois.
— Croyez-vous au Purgatoire ?
— J'y crois.
— Croyez-vous que le fils de Dieu se fit homme ?
— Je suis un soldat et non un moine, répondit Sajhë, les yeux baissés.
— Croyez-vous que l'âme humaine ne possède qu'un corps dans lequel et par lequel il sera ressuscité ?
— Les prêtres disent qu'il en est ainsi.
— Avez-vous oncques ouï quiconque alléguer que prêter serment est un péché ? Dans l'affirmative, qui cela ? »
Cette fois, Sajhë releva la tête.
« Je n'ai oncques rien ouï de tel, répliqua-t-il avec un air de défi.
— Qu'est-ce donc, sergent ? Vous servez dans cette garnison depuis plus d'un an, et vous prétendez ignorer que les heretici refusent de prêter serment ?
— Je suis au service de Pierre-Roger de Mirepoix, frère inquisiteur. Je ne fais point cas des propos
Weitere Kostenlose Bücher