Labyrinthe
d'autrui. »
L'interrogatoire se poursuivit un certain temps, mais Sajhë s'en tint strictement à son rôle de simple soldat, arguant de son ignorance en matière de croyances et d'écritures. Il n'incrimina personne. Il prétendit ne rien savoir.
Au bout du compte, l'inquisiteur n'eut d'autre solution que de le relaxer.
L'après-midi tirait à peine à sa fin que le soleil se couchait déjà. Le crépuscule descendait sur la vallée, estompant les formes et recouvrant tout de son ombre noire.
On renvoya Sajhë rejoindre un groupe de soldats sur le sort desquels les inquisiteurs avaient déjà statué. Il observa que chacun d'eux avait reçu une couverture, une miche de pain rassis et un pichet de vin. Pareille munificence ne s'était toutefois pas étendue aux prisonniers civils.
À la tombée du jour, le moral de Sajhë était au plus bas.
Le fait d'ignorer si l'épreuve de Bertrande avait pris fin – ou même en quel endroit de ce vaste campement elle était retenue – le rongeait. La pensée d'Alaïs attendant, guettant la nuit, de plus en plus anxieuse à mesure que l'heure du départ approchait, le remplissait d'autant plus d'appréhension qu'il ne pouvait lui porter secours.
Fébrile, incapable de se calmer, Sajhë se leva pour dégourdir ses membres. Une froide humidité imprégnait ses os, et il avait les jambes roides d'être resté trop longtemps assis.
« Assieds-toi », gronda un garde en lui heurtant l'épaule de son épieu.
Il allait obéir, lorsqu'il aperçut un mouvement dans la montagne. Un groupe d'hommes se dirigeait vers l'anfractuosité de rocher où Alaïs, Harif et leurs guides étaient tapis. Les flammes de leurs torches vacillaient, jetant des lueurs mouvantes sur les buissons agités par le vent.
Son sang ne fit qu'un tour.
Le château avait été fouillé, plus tôt dans l'après-midi, et les soldats n'avaient rien trouvé. Il pensait qu'ils en avaient terminé, mais, manifestement, ils s'apprêtaient à explorer les fourrés et les multiples sentiers qui sillonnaient le pied de la citadelle. S'ils poussaient plus avant dans cette direction, cela les conduirait inévitablement au chemin qu'Alaïs devait emprunter. En outre, il ferait bientôt nuit.
Il se mit à courir vers les barrières qui ceinturaient l'enclos.
« Hé ! protesta un garde. Ne m'as-tu point entendu ? Je t'ordonne de t'arrêter. ! »
Sajhë ignora la sommation. Sans se soucier des conséquences, il sauta la clôture et se mit à escalader le sentier en direction des soldats. Il entendit derrière lui les gardes appelant aux renforts, mais il n'en avait cure, sa seule préoccupation étant de détourner vers lui l'attention de la patrouille.
Les hommes s'immobilisèrent et se retournèrent pour voir ce qu'il advenait.
Sajhë vociférait afin de les inciter à se lancer à sa poursuite. Il vit la confusion de leurs visages se muer en agressivité. Le froid et la lassitude les poussaient à en découdre.
Il eut à peine le temps de comprendre que sa ruse avait porté que le premier coup l'atteignit en plein estomac, le cassant en deux, le souffle coupé. Deux soldats lui immobilisèrent les bras tandis que les horions pleuvaient de toutes les directions. Les coups de pied et de poing, portés avec la poignée de leurs armes et ponctués de ricanements étaient incessants. Il sentit sa pommette éclater. Un goût de sang lui vint dans la bouche et jusqu'au fond de la gorge, alors que les coups redoublaient.
Il ne comprit qu'à ce moment-là à quel point il avait méjugé de la situation. Sa seule préoccupation avait été de détourner la patrouille de l'endroit où se cachait Alaïs. Une image du visage livide de Bertrande en train de l'attendre s'infiltra dans son esprit à l'instant où un coup de poing dans sa mâchoire lui fit perdre connaissance.
76
Oriane avait consacré son existence à la quête du Livre des mots .
Peu après son arrivée à Chartres, après la défaite de Carcassonne, son époux avait perdu patience parce qu'elle ne lui avait pas procuré ce pour quoi il l'avait rétribuée. Il n'y avait jamais eu d'amour entre eux, et une fois son désir passé, son poing et sa ceinture avaient remplacé toute conversation.
Elle avait enduré les sévices, cherchant pendant ce temps par quels moyens se venger. Alors que les terres et biens d'Évreux s'accroissaient, que son influence auprès du roi allait grandissant, son attention était attirée par d'autres succès. Il
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