Labyrinthe
désert, comme abandonné.
Ayant démonté, les deux hommes conduisirent leur monture par la bride sur la courte distance qui menait à la place du village. Le bruit des fers sur le pavé et la terre gelée résonnait haut dans le silence. Quelques volutes de fumée s'élevaient précautionneusement d'une ou deux maisons. Des regards soupçonneux les observaient par les failles des croisées avant de disparaître furtivement. Bien qu'ils ne fussent pas coutumiers de ces hautes montagnes, l'existence de déserteurs français, généralement fauteurs de troubles, était connue jusques ici.
Sajhë attacha son cheval près du puits, aussitôt imité par Guilhem, lequel lui emboîta le pas en le voyant se diriger vers une maisonnette. Des lauzes manquaient au toit, les volets avaient grand besoin d'une remise en état, mais les murs avaient gardé leur solidité. Guilhem se dit in petto qu'il faudrait peu de chose pour qu'elle reprît vie.
Comme Sajhë en poussait la porte, Guilhem se tint en retrait. Le panneau de bois gonflé d'humidité et raidi par le manque d'usage, résista sur ses gonds rouillés, puis, avec un craquement, céda suffisamment pour permettre à Sajhë d'entrer.
Guilhem le suivit, ressentant sur le visage un air humide et sépulcral qui lui engourdit les doigts. Face à la porte s'entassaient feuilles et paillis, apportés par les vents hivernaux. De petites stalactites de glace pendaient aux volets et, pareilles à une frange, sur le rebord de fenêtre.
Des reliefs de repas jonchaient la table, parmi un vieux cruchon, des écuelles, des gobelets et un couteau. Une pellicule de moisi recouvrait un fond de vin, comme de la mousse sur un étang. Les bancs avaient été repoussés contre les murs.
« Est-ce votre demeure ? » s'enquit doucement Guilhem.
Sajhë opina de la tête.
« Quand l'avez-vous quittée ?
— Cela fait un an. »
Au centre de la pièce, un chaudron rouillé pendait au-dessus de cendres et de bois carbonisé depuis fort longtemps refroidi. Guilhem se sentit envahi de pitié en voyant Sajhë se pencher pour soulever le couvercle du chaudron.
Au fond de la demeure pendait un vieux rideau délabré. Il le souleva pour révéler une autre table entourée de deux chaises. D'étroites étagères, pour la plupart vides, occupaient presque tout le mur. N'y subsistaient qu'un vieux mortier et son pilon, deux ou trois bols et leur cuiller, quelques pots empoussiérés. Au-dessus, plusieurs crochets fixés au plafond bas soutenaient encore quelques bouquets d'herbes séchées, l'un d'érigérons pétrifiés, l'autre de feuilles de mûriers.
« Elle en usait pour ses médications », expliqua à brûle-pourpoint Sajhë.
Quoique déconcerté, Guilhem se tenait immobile, bras croisés, peu désireux d'interrompre Servian dans l'évocation de ses souvenirs.
« Femme ou homme, chacun venait à elle, sitôt qu'il avait le corps ou l'esprit troublé, afin aussi de garder ses enfants en santé durant les mois d'hiver. Bertrande… Alaïs lui permettait de l'assister dans ses préparations, et se chargeait de délivrer les potions dans chaque maison. »
Sajhë hésita, puis s'enferma dans son mutisme. Guilhem sentait un nœud lui serrer la gorge. Lui aussi se rappelait les flacons et les pots dont Alaïs emplissait leur chambre, au Château comtal, sa concentration silencieuse lorsqu'elle élaborait ses onguents.
Sajhë laissa retomber le rideau. S'étant assuré de la solidité de l'échelle, il se hissa jusqu'à la soupente. Là, rongée de moisissure et souillée de déjections animales, il y avait une pile de vieilles couvertures et de la paille pourrie, tout ce qui subsistait de l'endroit où dormait la petite famille. Un unique chandelier, ruisselant de cire, se dressait encore près du grabat, avec, sur le mur, en manière d'évocation, des traces noires de fumée.
Incapable d'endurer plus longtemps le chagrin de Sajhë, Guilhem alla l'attendre dehors. Il ne se sentait aucun droit de s'y immiscer.
Quelque temps après, Sajhë réapparut, l'œil rougi, mais le geste assuré. Il se dirigea résolument vers Guilhem qui, perché sur le point culminant du village, regardait ostensiblement vers l'ouest.
« Quand le jour se lève-t-il ? » voulut savoir ce dernier dès que Sajhë l'eut rejoint.
Les deux hommes étaient de même taille, mais les traits burinés et les mèches grisonnantes de Guilhem révélaient qu'il serait sous terre quinze ans plus tôt que
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