Labyrinthe
la tête.
« Que non, pas à Montségur. Céans, ce jour d'hui.
— Pour me venger », répondit Guilhem.
79
Alaïs s'éveilla d'un bond, gourde et transie. Une douce lueur violacée nimbait le paysage barbouillé vert et gris de l'aube. À flanc de montagne, une brume laiteuse, silencieuse et paisible se faufilait discrètement entre crevasses et goulots.
La cape doublée de fourrure remontée jusqu'aux oreilles, Harif reposait du sommeil du juste. Pour lui, le jour et la nuit passés à voyager s'étaient révélés des plus éprouvants.
Un silence insondable pesait sur la montagne. Malgré son malaise et le froid qui lui glaçait les os, Alaïs se plaisait dans cette solitude, surtout après de longs mois de confinement dans un château de Montségur désespérément surpeuplé. Prenant soin de ne pas éveiller Harif, elle se leva, s'étira puis plongea la main dans une sacoche de selle pour y prendre un croûton de pain. Il était aussi dur que du bois. Elle se versa un gobelet de vin des montagnes, rouge et épais, presque trop froid pour être goûté. Elle y trempa son quignon afin de le ramollir et se dépêcha de le manger avant de préparer une collation pour ses compagnons.
Elle osait à peine songer à Bertrande et Sajhë, à l'endroit où ils pouvaient être à cet instant précis. Toujours dans le campement ? Ensemble ou bien séparés ?
Le cri d'une chouette effraie rentrant de sa nuit de chasse fendit l'espace. Alaïs sourit à ses sons aussi apaisants que familiers. Dans les halliers, les animaux s'agitaient, griffes et mandibules soudain en activité. Dans les étendues boisées des vallées en contrebas, les loups hurlaient leur existence. Ils lui rappelaient que le monde allait de l'avant, que ses cycles changeaient avec les saisons, bon gré mal gré.
Elle secoua ses guides pour leur enjoindre de prendre la déjeunée, puis conduisit les chevaux au ruisseau dont elle brisa la glace à l'aide du pommeau de son épée afin qu'ils pussent s'abreuver.
Pour réveiller Harif elle attendit que le jour fût pleinement levé. Comme, depuis quelque temps, il sortait d'un sommeil troublé, elle lui murmura quelques mots dans sa langue natale et posa doucement sa main sur son bras noueux.
Harif ouvrit un œil affadi par les ans.
« Bertrande ?
— Nenni, c'est moi, Alaïs… »
Harif battit des paupières, confus de se retrouver en pleine montagne. Alaïs présuma qu'il devait encore rêver de Jérusalem, des arabesques des mosquées et de l'appel à la prière du muezzin, ses voyages dans l'océan infini du désert.
Au cours des années qu'ils avaient partagées en compagnie l'un de l'autre, Harif lui avait parlé des épices aromatiques, des couleurs flamboyantes, du goût poivré des nourritures, de l'extraordinaire éclat d'un soleil couleur de sang. Il lui avait conté l'histoire du prophète Mahomet et de l'antique cité d'Avaris, sa ville natale et des anecdotes à propos de son père au temps de sa jeunesse, de la Noublesso de los Seres .
Son cœur se serra. Son teint olive avait emprunté des nuances grisâtres, sa chevelure d'ébène la blancheur de la neige. Il était trop vieux pour mener pareil combat. Il en avait trop vu, été le témoin de trop d'événements pour connaître une fin si brutale.
Harif avait entrepris trop tard son dernier voyage. Et Alaïs n'ignorait pas que seule la pensée de Los Seres et de Bertrande lui donnait la force de continuer.
« Oui, Alaïs, dit-il doucement en rassemblant ses effets.
— Nous n'en avons plus pour très longtemps, le rassura-t-elle en l'aidant à se lever. Nous sommes presque arrivés. »
Blottis dans leur abri de montagne, hors d'atteinte de la cruelle morsure du vent, Guilhem et Sajhë n'échangeaient que peu de mots.
Après maintes tentatives de Guilhem pour nouer la conversation, les réponses laconiques et nébuleuses de Sajhë l'en avaient dissuadé. De guerre lasse, il s'était replié dans son propre monde, ainsi que Sajhë le souhaitait.
Ce dernier éprouvait de douloureux problèmes de conscience. Il avait passé une part de son existence, d'abord à envier Guilhem, puis à le haïr, pour enfin apprendre à l'oublier. Certes, il l'avait supplanté aux côtés d'Alaïs, mais jamais dans son cœur, cette dernière ayant voué à son premier amour une imprescriptible fidélité. Malgré le silence et l'absence, il l'avait supporté.
Sajhë n'ignorait rien du courage de Guilhem, de l'intrépidité de son
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