Labyrinthe

long combat pour chasser l'envahisseur du pays d'oc. Cependant, il ne pouvait se résoudre à l'admirer, à l'estimer ni même à s'apitoyer sur lui. Il voyait à quel point il souffrait de la perte d'Alaïs. Son visage exprimait la profondeur de son chagrin. Incapable de lui avouer la vérité, Sajhë se détestait pour cela.
    Ils attendirent toute la journée, ne dormant qu'à tour de rôle. À l'approche du crépuscule, une nuée de corbeaux prit son envol de la vallée, s'élevant dans le ciel comme les cendres d'un feu mourant. Ils tourbillonnèrent, planèrent en croassant, battant l'air froid de leurs ailes noires.
    « Quelqu'un s'en vient », annonça Sajhë, immédiatement sur ses gardes.
    Dissimulé derrière le rocher perché sur une étroite corniche qui surplombait la grotte comme si un géant l'y avait posée tout exprès, Sajhë hasarda un coup d'œil.
    Il ne vit rien, aucun signe de vie. Prudemment, il sortit alors de sa cachette. Contrecoup de son inactivité et de la volée de coups qu'on lui avait infligée, chaque partie de son corps était roide et endolorie. Il avait les doigts gourds et les articulations rougies et craquelées. Son visage offrait l'apparence d'une énorme ecchymose.
    S'accroupissant au bord de la corniche, il sauta sur le sol et se reçut très mal. Une douleur fulgurante traversa sa cheville blessée.
    « Passez-moi mon épée », commanda-t-il, la main tendue.
    Guilhem s'exécuta, puis le rejoignit pour observer la vallée.
    Quelques éclats de voix lointains parvinrent jusqu'à eux. Puis, dans la lumière mourante, Sajhë aperçut un mince filet de fumée s'élevant à travers le couvert des bois.
    Il contempla l'horizon où le mauve de la terre se fondait dans les premiers assombrissements du ciel.
    « Ils se trouvent sur le sentier sud-est, déclara-t-il. Ce qui signifie qu'Oriane a contourné le village. En venant de cette direction, ils ne pourront poursuivre à cheval, le terrain est par trop escarpé. Il y a des ravins, bordés d'à-pics de chaque côté. Il leur faudra continuer à pied. »
    La pensée de Bertrande si proche lui fut soudain insupportable.
    « Je descends.
    — Non ! » se récria Guilhem. Puis, plus posément : « Non, le risque est trop grand. S'ils vous aperçoivent, la vie de Bertrande sera en danger. Nous savons qu'Oriane viendra jusqu'à la grotte. Céans, nous bénéficions de l'effet de surprise. Il faut attendre qu'elle vienne à nous. Mais ne vous blâmez point, ami, vous ne pouviez vous en empêcher. Vous servirez votre enfant en vous en tenant à notre plan. »
    Sajhë se libéra avec rudesse du geste que Guilhem avait eu pour le retenir.
    « Vous ignorez tout de mes sentiments, répliqua-t-il d'une voix vibrante de colère. Comment osez-vous prétendre me connaître ?
    — J'en suis navré, répondit Guilhem en esquissant ironiquement un geste de reddition.
    — Ce n'est qu'une enfant.
    — Quel âge a-t-elle ?
    — Neuf ans, rétorqua sèchement Sajhë.
    — Elle est donc en âge de comprendre, songea-t-il à haute voix. Or donc, même si Oriane est parvenue à la persuader, plutôt que la contraindre à quitter le camp, il est probable que Bertrande a deviné son imposture. Savait-elle qu'Oriane se trouvait dans le camp ? Savait-elle seulement qu'elle était sa tante ?
    — Elle savait qu'Alaïs et elle n'étaient point amies. Elle aurait refusé de la suivre.
    — À condition qu'elle connût son identité, objecta Guilhem. Mais dans le cas contraire ? »
    Saghë réfléchit quelques instants, puis secoua la tête.
    « Quand bien même. Je me refuse à croire qu'elle ait pu suivre une étrangère de son plein gré. Nous nous étions entendus pour qu'elle… »
    Il se retint, comprenant qu'il était sur le point de se trahir, aussitôt soulagé que Guilhem fût absorbé dans ses propres pensées.
    « Il me semble possible de nous occuper des soldats après avoir porté secours à Bertrande, annonça ce dernier. Plus j'y songe, plus je crois qu'Oriane laissera ses hommes près du bivouac pour continuer seule, avec votre fille. »
    Sajhë commença à lui prêter attention.
    « Poursuivez.
    — Oriane a attendu cet instant plus de trente années. La dissimulation est pour elle une seconde nature. À mon avis, elle ne prendra point le risque que quelqu'un d'autre ait vent de l'emplacement précis de la grotte. C'est un secret qu'elle ne saurait partager, et comme elle est convaincue que nul, son fils excepté, ne