Labyrinthe
héritage des visites qu'elle faisait dans son enfance, sous la houlette de ses parents. Ainsi, elle passa une agréable demi-heure en promenade, à lire les ex-voto et contempler les vitraux.
La faim qui commençait à la tenailler l'incita à terminer sa visite par les cloîtres, puis à se mettre en quête d'un lieu pour déjeuner. À peine avait-elle fait quelques pas qu'elle entendit un enfant pleurer. Elle se retourna : personne. Vaguement embarrassée, elle poursuivit sa marche, mais les sanglots redoublèrent d'intensité. Un murmure s'éleva, une voix masculine persiflant à son oreille.
Hérétique, hérétique.
Alice se retourna en sursaut :
« Oui ? Il y a quelqu'un ? »
Personne. Pourtant, pareille à un murmure mal intentionné, la voix ne cessait de répéter : Hérétique, hérétique…
Elle se plaqua les mains sur les oreilles, alors que, sur les murs et les piliers, des visages lui apparaissaient. Des bouches torturées, des mains tendues vers elle l'appelaient à l'aide, jaillissaient du moindre recoin.
Enfin elle eut devant elle la vision furtive d'une personne. Une femme en robe verte recouverte d'une cape pourpre apparaissait puis disparaissait dans l'ombre. Elle tenait un panier d'osier à la main. Alice poussa un cri pour attirer son attention, quand trois hommes, des moines, apparurent de derrière les piliers. La femme poussa un cri, tandis qu'ils se saisissaient d'elle et l'entraînaient malgré ses efforts désespérés.
Alice voulut derechef attirer leur attention, mais aucun son ne monta à ses lèvres. Seule la femme semblait l'entendre car elle se retourna et garda les yeux ostensiblement fixés sur les siens. À présent, les moines encerclaient complètement la femme, étendant au-dessus d'elle leurs bras immenses comme des ailes noires.
« Laissez-la ! » cria Alice en se précipitant vers eux.
Plus elle se rapprochait plus les personnages s'éloignaient, jusqu'à disparaître tout à fait, comme s'ils s'étaient dissous dans l'épaisseur des murs.
Frappée de stupéfaction, Alice laissa ses mains errer sur la pierre, cherchant à droite et à gauche une explication à ce mystère, sauf que l'endroit restait désespérément désert. La panique finit par prendre le dessus. Elle courut vers la sortie, s'attendant à se voir poursuivie, terrassée par les hommes en robe noire.
À l'extérieur, tout était comme auparavant.
Ça va. Tout va bien, se rassura-t-elle. Haletante, Alice s'appuya contre un mur. Alors qu'elle retrouvait la maîtrise de ses émotions, elle eut conscience d'éprouver non pas de la peur, mais du chagrin. Aucun livre d'histoire n'était nécessaire pour comprendre que ce lieu avait été le théâtre de tragiques événements, que la souffrance et les stigmates dont il était porteur ne pouvaient être occultés par des murs de pierre ou de béton. Les fantômes racontaient leur propre histoire. En portant les mains à son visage, elle s'aperçut qu'elle pleurait.
Sitôt que ses jambes purent la soutenir, elle prit le chemin du centre-ville, n'ayant d'autre désir que de s'éloigner au plus vite de la cathédrale. Certes, expliquer ces étranges phéno-mènes lui était impossible, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elle était prête à renoncer.
Rassurée par la banalité de la vie qui l'entourait, Alice se retrouva au centre d'une placette piétonne, à droite de laquelle un auvent rose cyclamen ombrait une brasserie proposant une terrasse de tables et de chaises chromées.
À peine installée à l'unique place disponible, elle passa commande et fit un réel effort pour se détendre. Deux verres d'eau avalés coup sur coup, elle s'abandonna contre le dossier de son siège et offrit son visage à la caresse du soleil. Cela ne lui ressemblait pas de se laisser si facilement impressionner, se dit-elle après avoir bu une gorgée de vin rosé frappé.
Quoique sur le plan émotionnel, ce ne soit pas la grande forme.
Il est vrai qu'elle tournait à vide depuis le début de l'année. D'abord, elle avait mis un terme à la relation qu'elle entretenait depuis des années avec son fiancé. Malgré son soulagement de se retrouver seule, cette rupture n'en avait pas été moins éprouvante pour autant. Elle s'était sentie blessée dans son orgueil autant que dans son cœur. Pour oublier sa peine, elle avait redoublé d'ardeur dans son travail comme dans tout ce qu'elle entreprenait, n'importe quoi pour ne pas remâcher les raisons
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