Labyrinthe

de cette séparation. Deux semaines en France étaient censées recharger ses batteries, lui permettre de retrouver un semblant de stabilité.
    Alice fit la grimace. Des vacances, tu parles…
    L'arrivée du garçon mit fin à son introspection. L'omelette, parfaite, baveuse comme elle les aimait, croulait sous le persil et les champignons. Alice la dévora avec une féroce concentration. Elle sauçait l'huile d'olive qui restait au fond de son assiette, quand elle se demanda à quoi elle pourrait consacrer le reste de l'après-midi.
    Au moment où le café lui fut servi, elle avait trouvé.
     
    La bibliothèque de Toulouse est un grand bâtiment de pierre carré. À l'assistant qui la reçut d'un air désabusé, elle présenta sa carte de la British Library Reader's Room. Après s'être maintes fois égarée dans un dédale d'escaliers, elle se retrouva dans la section largement consacrée à l'histoire générale. De part et d'autre de l'allée centrale, s'alignaient des pupitres de bois verni, surmontés d'une rampe d'éclairage. En ce suffocant après-midi de juillet, peu étaient occupés.
    À l'autre extrémité, embrassant la largeur de la salle, se trouvait ce qu'Alice recherchait : une rangée de terminaux d'ordinateurs. S'étant enregistrée à la réception, elle prit connaissance du mot de passe et alla s'installer au poste de travail qu'on lui avait alloué.
    Dès qu'elle fut connectée, elle tapa dans la fenêtre de recherche le mot « labyrinthe ». La barre de téléchargement défila rapidement. Parmi les centaines de sites proposés, elle avait espoir de trouver le labyrinthe qu'elle recherchait, plutôt que de se fier à sa seule mémoire. Cela lui semblait si évident qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle n'y avait pas pensé plus tôt.
    D'entrée, la différence entre les labyrinthes traditionnels et le motif de la grotte tel qu'elle s'en souvenait lui sauta aux yeux. Un labyrinthe est normalement constitué de cercles concentriques interrompus par des murs, et dont les couloirs conduisent toujours au centre, alors qu'elle restait convaincue que celui qu'elle avait aperçu au pic de Soularac était une combinaison de courbes et de segments revenant sur eux-mêmes sans jamais mener nulle part. C'était plutôt un dédale.
    Les véritables origines du symbole labyrinthique et des mythologies qui s'y rattachaient étaient complexes et difficiles à retracer. Les premiers remontaient à plus de trois mille ans, lisait-on. On en découvrit gravés dans le bois, la roche, la terre cuite et la pierre, mais aussi sur des travaux de tapisserie ou des espaces naturels comme le gazon ou un jardin.
    Les premiers labyrinthes découverts en Europe remontaient à l'âge de bronze et au début de l'âge de fer, entre mille deux cents et cinq cents ans avant Jésus-Christ, autour des principaux centres d'échanges commerciaux de la Méditerranée. Des gravures datées entre neuf cents et cinq cents ans avant Jésus-Christ étaient apparues à Val Camonica, dans le nord de l'Italie, ainsi qu'en Galicie, à Pontevedra, et à l'extrême nord-ouest de l'Espagne, à Cabo Fisterra Finisterre. Alice observait attentivement ces dernières illustrations. Jusqu'à présent, c'étaient celles qui se rapprochaient le plus du motif qu'elle avait vu dans la grotte. Elle inclina la tête sur le côté. Se rapprochaient, certes, mais sans plus.
    Il y avait tout lieu de croire que le symbole avait voyagé vers l'est, avec les marchands et les négociants venus d'Égypte et des confins de l'Empire romain, et s'était adapté, transformé du fait de son interaction avec d'autres civilisations. Il n'était pas interdit de penser non plus que le labyrinthe, à l'évidence symbole préchrétien, avait été usurpé par cette même chrétienté, et que les églises romanes et byzantines étaient concurremment coupables de s'être approprié ces mythes et ces symboles au profit de leur propre doctrine.
    De nombreux sites étaient dédiés au plus célèbre d'entre eux : celui de Knossos, sur l'île de Crète où, selon la mythologie, le Minotaure, créature mi-homme, mi-taureau avait été enfermé. Alice les écarta aussitôt, instinctivement persuadée que cela ne conduisait nulle part. Le seul détail qui méritait qu'on s'y arrêtât résidait dans le fait que le labyrinthe de Minos avait été érigé sur le site de l'ancienne cité égyptienne d'Avaris, datant de mille cinq cent cinquante ans avant Jésus-Christ, tout comme