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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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moches et édentées, ne provoquaient pas les mêmes émois chez Nicol. Celles qui le laissaient, bouche ouverte, tout bête et en nage, se moquaient et se sauvaient en riant. Même Clotilde Loquet, qu’était belle comme un soleil et aussi gentille qu’un ange. Un jour, il lui avait tendu des fleurs fraîches cueillies. Elle l’avait regardé, l’air triste, avant de murmurer en hochant la tête : « Mon gentil benêt, je n’en veux point. Offre-les à une autre. »
    Nicol s’était interrogé, la nuit, dans la chambrette plutôt confortable qu’il occupait dans les combles de l’auberge. Certes, il n’était pas bien beau, mais d’autres qui avaient femme non plus. Certes, son esprit s’embourbait, à le désespérer souvent. Toutefois, il connaissait des langues-prestes dont la caboche était presque aussi épaisse que la sienne. Et puis, un soir, il avait compris que des femmes acceptaient de frôler leur peau à une autre contre des pièces. Pourquoi pas ? Encore fallait-il trouver de l’argent. De là était né son commerce de vipères. Il lui permettait, de temps en temps, comme cette nuit, bientôt, de rêver qu’il était beau, leste d’esprit, et qu’une fille avait envie de le toucher.
    Ce grand gars qu’il ne connaissait que de vue, et encore ne l’avait-il aperçu qu’en de rares occasions, avait déchiffré le besoin de Nicol. Compatissant, il lui avait promis de persuader une fille afin qu’elle le rejoigne cette nuit, au creux de la clairière. Une jolie et souriante, avec de beaux cheveux très doux. Un gars gentil qui n’avait pas même demandé quelques deniers en échange de son entremise.

    Des brindilles tombées craquèrent sur sa droite. Le simple tendit l’oreille. Le son se reproduisait, plus proche.
    Une vague incertitude l’envahit. Il ne s’agissait en rien d’un pas de fille.
    Le gars, celui de la promesse, apparut entre les troncs serrés des hêtres. Il avait la mine sombre. Nicol poussa un petit soupir déçu. Sans doute n’avait-il pas trouvé de fille pour lui. Un voile de tristesse couvrit ses yeux : sa nuit humaine s’évanouissait. Il ne serait ni beau ni leste d’esprit avant longtemps. Il haussa les épaules.
    L’autre s’approcha et commença de cette voix lente qui rassurait le simple :
    — Je suis désolé, l’ami, vraiment désolé…
    De fait, Nicol ressentait son véritable chagrin, et cette constatation allégea sa désillusion. Il importait à si peu de gens. Aucun, à l’exception de maîtresse Borgne. Aussi, l’espèce de compassion qu’il ressentait chez l’homme le touchait-elle.
    — Ben… c’pas d’ta faute…
    Des larmes liquéfièrent le regard de l’autre qui murmura :
    — Si, c’est mon immense faute. Pardonne-moi, veux-tu ?
    Nicol avança d’un pas pour toucher le bras ami quand, brusquement, il se souvint de la dernière fois où il avait aperçu le gars. Une chose blessante s’enfonça dans son ventre. Très dure, très froide. Une larme, puis une autre dévalèrent des yeux du tueur.
    Nicol plaqua la main sur son abdomen. Une onde très douce, tiède la trempa. Il considéra sa paume, sans comprendre d’où venait ce beau rouge. La douleur le suffoqua d’un coup et son souffle se fit pénible, comme si une malfaisante chape lui écrasait la poitrine. Il sentit ses jambes se dérober sous lui. L’autre le retint, l’empêchant de choir trop durement sur l’humus.
    Et Nicol mourut sans haine, sans peur, dans un sourire, alors que se formait dans son esprit une si parfaite idée qu’il douta qu’elle vînt de lui : peut-être était-ce infiniment mieux ainsi ? Il rejoignait les anges, ceux qui jamais ne se gausseraient de lui.

    L’homme se laissa tomber à genoux et pria longtemps pour le repos de l’âme du pauvre idiot qu’il venait d’assassiner. Un étouffant chagrin le faisait trembler. L’exécration qu’il éprouvait de lui-même lui serrait le cœur à le faire gémir. Il rabattit le bas de la tunique de Nicol sur son visage, sur ses yeux grands ouverts.
    1 - Chouette effraie.
    2 - Cette tenace superstition persiste toujours.

XXX
    Château de Saint-Denis-d’Authou, novembre 1306
    D ruon et Huguelin avaient pris la veille leurs quartiers au château de Saint-Denis-d’Authou, sans enthousiasme. Une étrange et pesante atmosphère y régnait. On eût cru qu’un malsain sortilège avait frappé toute la mesnie du seigneur Philippe.
    Aussi le jeune garçon fit-il grise mine,

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