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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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lorsque son maître lui annonça dès après prime qu’il se rendrait seul à Tiron, puis en l’abbaye, accompagné cette fois du bailli, Louis d’Avre, qui avait obtenu – non sans peine – audience du seigneur abbé Constant de Vermalais.
    Le garçonnet tenta d’incliner la décision du jeune mire en plaidant, d’un ton dépité :
    — Il me va falloir encore rester cloîtré. Et dans ces appartements qui n’ont rien d’avenant.
    Il désigna d’un geste circulaire leur chambre, de taille fort modeste et meublée du strict minimum – un grand lit dont le pied était flanqué d’un banc de bois sombre et une almaire 1 de piètre facture, sans oublier deux chaises et une petite table d’écriture, encombrée d’une cuvette et d’un broc d’ablutions. Trois meurtrières l’aéraient, laissant filtrer si peu de lumière qu’on n’y voyait goutte au plein du jour. Le vestibulum 2 qui menait à la triste pièce se réduisait à une sorte de sombre boyau.
    — Ça, il y a de quoi regretter notre séjour au château du seigneur de Verrières, poursuivit Huguelin d’un ton aigre.
    — Nul ne te contraint à la réclusion. Tu peux te promener alentour, ou visiter la bibliothèque, qu’on prétend bien garnie…
    — Que nenni ! s’exclama Huguelin. Je rase les murs dès que je sors de nos appartements… enfin, un bien grand mot pour ce piteux logement. Il y a quelque chose de… sinistre en ce lieu. Voyez, nul serviteur ne jacasse, ne s’esclaffe, tous baissent la tête dès qu’ils croisent votre chemin et filent à la manière de souris inquiètes. On dirait… je ne sais… on dirait que pèse une terrible menace, une menace qui s’apprête à fondre sur chacun.

    Druon n’était pas loin de partager le sentiment de son apprenti. Toutefois, lui se doutait que la pesanteur lugubre qui régnait dans le château naissait de la rustaude personnalité de Philippe. Tous le craignaient, à raison probablement. Une âme trouble, sombre, dangereuse se cachait derrière ses manières d’ancien soldat, Druon en aurait juré.
    Le jeune mire pensait souvent à dame Ivine, de même âge que lui. Il comprenait le besoin et l’affection qui la liaient à ses dames d’entourage. Elle vivait dans une sorte de déplaisant désert, prisonnière d’un époux dont Druon voyait mal comment on pouvait le bien aimer.
    En dépit de l’effroyable chagrin que lui avait causé, que lui causait toujours le souvenir du calvaire, puis de la mort de son père, en dépit de sa fuite, des dangers qui pesaient sur lui, il eut pour la première fois de son escampe la grisante sensation qu’il était libre, maître de lui.

    Il sortit de leur chambre, se sentant un peu coupable de laisser Huguelin derrière. Au bout du couloir, une ombre se détacha de derrière un pilier de soutènement et fonça vers lui dans un froissement d’étoffe. Marie Desprès. Au même moment, un serviteur déboucha à l’autre extrémité, celle qui donnait sur l’escalier descendant vers la salle d’armes. La ventrière pila. Un sourire convenu étira ses lèvres. Elle lança d’un ton artificiel :
    — Messire mire… Quel soulagement de savoir ma dame en si habiles mains.
    Puis la grande femme tourna les talons et disparut aussi vite.
    D’abord un peu interloqué, Druon songea que son comportement se révélait fort étrange et qu’il la devrait questionner à son retour.
    Les reproches de son jeune apprenti lui revinrent alors à l’esprit. Ce lieu sécrétait un étrange malaise. En dépit de son exécration, héritée de son père, pour la superstition, il finissait par redouter, à son tour, qu’une chose terrible ne fonde sur les habitants du château.
    1 - Armoire.
    2 - Pièce d’entrée, vestibule.

XXXI
    Tiron, novembre 1306
    M aîtresse Borgne tournait tel un lion en cage lorsque Druon pénétra dans la vaste salle du Chat-Borgne. Le visage crispé d’inquiétude, elle se précipita vers lui et déclara d’une voix forte :
    — Ch’ais pas où est passé c’nigaud d’Nicol. L’est nulle part ! Si j’l’attrape, çuilà, je lui en emmanche une à lui r’tourner la tête ! Y sait ben, pourtant, qu’ils, les autres, l’aiment pas et sont toujours prêts à lui mitonner d’vilains coups ! J’y ai dit de m’prévenir quand l’envie d’un p’tit tour le prend. Dadais ! Bon à pas grand-chose !
    Le mire sentit aussitôt que son ire n’avait d’autre objet que de dissiper son angoisse. Il s’efforça

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