Lacrimae
ignoble. Je m’accuse aussi du trépas du simple Nicol et le déplore plus que tout. Il…
Un rugissement. Quelques clients, inquiets, se dressèrent, regardant de droite et de gauche, n’osant intervenir en présence du seigneur bailli. Louis d’Avre n’eut que le temps de se lever afin de maîtriser Cécile, qui, un couteau récupéré sur une table, fonçait vers le jeune homme, telle une femelle prête au meurtre. L’aubergiste rua, se débattant à la manière d’une diablesse, hurlant :
— J’vas l’crever, laissez-le moi ! J’vas l’crever ! Son r’pentir, y s’le rentre dans l’cul ! Mon Nicol… laissez-le moi !
Le jeune homme la considéra sans crainte, une tristesse infinie peinte sur le visage.
— Pardon… mon infini pardon… À lui, à vous…
— Ferme ton vil clapet ! vociférera l’aubergiste qui semblait avoir perdu le sens au point de donner de vicieux coups de pied au bailli afin qu’il la lâche.
Louis d’Avre lui asséna une gifle monumentale qui l’envoya choir au sol. Quelques faibles murmures de désapprobation s’élevèrent dans l’assistance. D’un ton très doux, le bailli lui conseilla :
— Cécile, calmez-vous, aussitôt. Lorsque le bourreau en aura fini, il sera pendu et Nicol vengé. Ne commettez aucun acte fol qui me contraindrait à vous entraver et à vous faire juger.
— Il en réchappera pas ? exigea maîtresse Borgne d’un ton féroce.
— Oh, non. Ma parole !
— La mienne au semblable, murmura le jeune homme, de lourdes larmes dévalant de ses yeux. Le pardon, de grâce. Pour Nicol. Je n’ai rien à chaloir des deux autres.
— Retournez en cuisine et laissez-moi faire mon office, ordonna le bailli.
Ces promesses parurent apaiser la tenancière, qui obtempéra.
Druon fixait le jeune homme qui lui dit :
— Mon nom est Negan. Nulle importance non plus. Merci à vous, messire. Du fond du cœur.
Et Druon sut qu’Igraine s’était volatilisée. Tout comme il fut certain que leurs routes se croiseraient à nouveau bien vite.
Une étrange opacité voila soudain le regard très noir. Negan déglutit et inspira avec peine. Une laborieuse expiration de souffrance. Le jeune mire hocha la tête. Bien sûr !
Une salive rosâtre s’accumula à la commissure des lèvres du jeune homme, la sueur dévalant de son front. Un autre murmure :
— Quel… soulagement, mire.
Il s’écroula, un sourire aux lèvres. Un dernier souvenir avant le transitoire néant : Igraine, sa tante, ou sa sœur, tirait de sa bougette un sachet de cuir noué de fins cordons pour le lui tendre en déclarant :
— Une poudre verdâtre. Ne l’avale qu’avant de pénétrer dans l’auberge du Chat-Borgne. Ils y seront ce soir. Puis hâte-toi. Tu souffriras le cauchemar, tes intérieurs se déchireront en dedans de toi. Cependant… une brève agonie comparée à celle qu’ils te réservent. Je prierai pour toi. Peut-être à bientôt, dans un autre monde et un autre temps. Va.
Druon demeura figé. Igraine n’aurait jamais toléré que l’un des siens, aussi grandement fautif fût-il, subisse la torture. Il ne pouvait que l’approuver.
Et Louis d’Avre se précipita vers ce coupable qui avait trouvé le moyen d’échapper à sa justice, devant une assistance médusée, muette d’effroi devant la scène qui venait de se dérouler.
LXVIII
Tiron, novembre 1306
H uguelin avait joué avec le petit Alodet, âgé de quelques mois, qu’avait recueilli maîtresse Borgne. Sa houppe 1 de cheveux très bruns avait distrait tout le monde. Cécile s’affairait telle une poule nerveuse autour de l’enfançon, répétant :
— La pauv’ Denyse. L’en a déjà sept plus quatre défunts. Elle peut plus les nourrir. Attention, elle pourra v’nir contempler son fils quand il lui plaira. Mais bon, l’est déjà grosse du suivant. Son mari est un gars bien. Fait c’qui peut. C’sont des serfs 2 sans terre. Aussi, faut pas dire de qui j’as récupéré Alodet, puisqu’il appartenait au seigneur. Faut rien dire, vu qu’y a ben quèc’qu’un qui me ferait tort en clabaudant, et y r’prendraient l’enfant, pour qu’y devienne serf à son tour, s’y crève pas avant.
Druon était heureux. Maîtresse Borgne avait l’occupation qu’elle méritait. Un réceptacle à tendresse, à magnifiques inquiétudes.
L’œil humide, elle les accompagna dehors lorsque Druon sella Brise avec leur maigre frusquin. Elle lui balança une lourde
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