Lacrimae
avec nous et dois disparaître.
Negan avait blêmi. Les larmes lui étaient montées aux yeux, en dépit de ses mâchoires crispées de rage. Mais Igraine n’en avait pas terminé. D’une voix redevenue enfantine, elle asséna le dernier coup, celui dont elle savait qu’il ne se relèverait pas :
— Tu as condamné Avéla, ta sœur tant aimée, que tu protèges, à un trépas certain, précédé d’une effroyable agonie puisqu’elle sera livrée à l’Inquisition qui s’acharnera à lui faire avouer qui et où nous sommes. Contrairement à leur Doux Agneau, nos dieux n’ont jamais fait preuve de longanimité pour qui leur désobéissait. Les autres humains vont nous retrouver. Avéla n’est pas encore assez forte pour leur échapper. Et je ne suis plus assez puissante pour la sauver. Ta faute. Ta très grande et très inexpiable faute, celle qui te suivra, telle une marque infamante au fer rouge, pour les siècles et les siècles ! Tu nous as condamnés. Les battues vont débuter. Ils nous traqueront à la manière de bêtes, nous retrouveront, nous extermineront. Notre race, ses derniers représentants disparaîtront par ta faute. Mabyn s’est tue afin de nous épargner. Même sur le dévorant bûcher, elle n’a pas parlé.
La rage avait abandonné Negan. Ne lui demeurait qu’un suffocant chagrin, une honte qui lui donnait envie de fondre en larmes. De fait, il avait grandement failli. De fait, le sort de sa race, des quelques représentants qui en persistaient, se trouvait en danger à cause de sa stupide impulsivité, de son imbécile colère. De fait, sa race le repoussait et elle avait grand raison. De fait, Avéla, qu’il aimait plus que tout, plus que lui-même, était menacée d’une effroyable agonie. Il était coupable. Sans atténuation. Il se détestait. Sans atténuation.
— Que dois-je faire ? demanda-t-il d’une voix plate mais ferme.
— Te rendre. Au seigneur bailli. Aussitôt. Je m’enfuirai avec Avéla. Vers l’est.
— Ma mort sera hideuse, n’est-ce pas ?
— Bien moins que ne le deviendrait ton existence si tu poursuivais dans la trahison des tiens.
— Reviendrai-je 1 ? Enfin… parmi vous ?
— Je ne sais. Les dieux en décideront. Je peux juste te promettre que je les implorerai chaque jour.
— Quand dois-je… ?
— Mets-toi en route, à l’instant. Avant qu’Avéla ne revienne.
— Lui diras-tu que…
D’une voix désespérée, Igraine l’interrompit :
— Je lui dirais que tu l’as aimée au-delà de toi-même.
Negan s’approcha d’elle et lui saisit les mains pour les baiser.
— Ma tante, ma sœur… merci du fond du cœur, balbutia le jeune homme aux yeux de nuit. Je… Le gentil fantôme de Nicol me hante. Il… ne comprend pas. Il… m’aimait bien, tout comme je l’aimais bien. Pourquoi l’ai-je tué ? demande-t-il. Il m’a vu, cette nuit-là, m’enfuir du poulailler où je venais d’occire Charon que j’avais convaincu par message de rejoindre un « informateur » pouvant l’éclairer au sujet du meurtre du mercier Borée. Cependant, Nicol n’a pas compris ma présence, pas fait le lien avec l’assassinat du secrétaire, puisque, au matin, il avait oublié m’avoir aperçu la veille à la nuit. Je l’ai assassiné pour rien. Et tu as raison, mon sang humain est devenu trop lourd. Sans quoi, j’aurais senti qu’il ne me menaçait pas.
Il passa sa lourde cape et s’arma de son bâton de marche à bout ferré.
— Je…
— Chut ! Nul regret, fais ce qui doit être fait. Nulle confession de repentir ou d’amour, je lis dans ton âme aussi bien que dans la mienne.
Elle se leva et récupéra sa bougette.
1 - Les peuples de l’ancienne Gaule croyaient à l’âme éternelle et à la réincarnation dans une autre enveloppe humaine.
LXVII
Tiron, novembre 1306
E n dépit de ses efforts, la nervosité de Druon était perceptible au point que Louis d’Avre, qui l’avait rejoint pour le souper, lui conseilla d’un ton plat :
— Apaisez-vous, messire mire. Vous allez nous gâter le repas – un outrage aux talents de maîtresse Borgne – et la digestion. Reprenez-vous, je vous prie.
— Je pense… enfin, sans certitude… que le tueur de votre secrétaire et de Borée nous visitera sous peu.
— Son nom ?
— Je l’ignore.
— Ses mobiles ?
— Si mes déductions sont fondées, il a occis Borée et Leonnet Charon parce qu’ils étaient à l’origine de la condamnation et du
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