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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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comble et silencieuse. Mais on entendait le bruit de la foule qui se tenait dehors malgré ce soleil
béni de février. Furcy était debout, les mains enchaînées, entouré de deux
gardes de police. Il avait obtenu le droit de pouvoir garder un
papier, la Déclaration des droits de l’homme qu’il tenait serrée
dans sa main gauche. Son regard, calme et déterminé, impressionnait. Il se trouvait dans le box des accusés, alors que c’était
lui le plaignant. Par une entourloupe juridique Joseph Lory
accusait Furcy de « marronnage ». On avait oublié que c’était
l’esclave qui s’était rendu au tribunal de première instance, on
avait oublié que c’était Furcy qui venait réclamer sa liberté et
qu’il n’avait jamais cherché à fuir. Il était évident que cela
n’augurait pas une suite favorable. L’enjeu était ailleurs. Car
tout le monde le savait, il faudrait un miracle pour que la cour
reconnaisse des droits à l’esclave. Il y avait aussi cette curiosité qui attirait du monde, et des
noirs et des exploitants. On avait entendu parler de ce Gilbert
Boucher, ce père de famille avait une belle situation de procureur général et avait osé affronter le clan Desbassayns, au
risque de perdre sa place. Sans trop le connaître, on disait de
lui que c’était un humaniste dont les paroles pouvaient soulever les cœurs. Des colons affirmaient, au contraire, que
c’était un homme imbu de sa personne et motivé par la
recherche de la célébrité. La foule ignorait qu’il avait été
empêché de venir. Desbassayns n’avait pas de mots assez durs
contre lui. C’était son pire ennemi. « Messieurs, annonça le président de la Cour royale, nous
allons rendre la justice au nom du roi. Le sieur Lory tient à
faire valoir ses droits après que son esclave, le dénommé Furcy,
a tenté de s’échapper. » Ensuite, le magistrat donna la parole à l’avocat de Lory, il
s’appelait Pol Satin. Ce dernier attaqua sur deux fronts.
D’abord, sur le front juridique. « Messieurs, lança-t-il, d’une manière un peu péremptoire,
je ne veux pas vous abreuver de textes de loi, mais je tiens
juste à en rappeler un à votre conscience. Le Code noir, oui ce Code noir qui a été créé pour protéger nos esclaves, ce règlement inscrit en décembre 1723, par le roi même, et spécialement conçu pour notre chère île et l’île de France, la terre voisine ; eh bien, que dit ce Code noir, monsieur le président,
messieurs la cour ? » Il s’arrêta, regardant la salle sur sa droite, puis sur sa gauche.
Son visage affichait une expression difficile à définir, rictus de
mécontentement ou sourire. Il continua : « Permettez-moi de rappeler tout d’abord ce que son
article 24 stipule. Je le résume pour ne pas vous faire perdre
votre précieux temps : les esclaves ne peuvent agir directement
en justice, c’est à leur maître de les défendre auprès des tribunaux, si bien sûr il y a lieu de le faire. C’est à leur maître depoursuivre en matière criminelle et d’exiger la réparation des
excès qui auront été commis contre leurs esclaves. » C’est vrai, comme la loi l’exigeait, un esclave ne pouvait
attaquer son maître (ou une autre personne) en justice sans
passer par... son maître. C’était le propriétaire qui portait la
voix de l’esclave. Comment, avec une telle règle, dénoncer les
mauvais traitements ? Pol Satin se délectait. « Je pourrais m’arrêter là », dit-il en marquant une pause
pour juger de son effet — son visage arborait, cette fois, un
sourire satisfait. « Oui, je pourrais m’arrêter là et signifier à
l’esclave Furcy qu’il n’a aucun droit à ester en justice. Mais
passons à l’article 39 de ce Code noir sur lequel je m’appuie et
qui régit la bonne administration de notre île. Je ne vous répète
pas que cette loi a été conçue pour protéger nos esclaves,
comme Furcy. Son article 39 affirme haut et fort et simplement, messieurs, que les esclaves sont réputés meubles et
comme tel il a été légué à Lory par feue Mme Routier, sa
tante... Joseph Lory, en citoyen honnête, a réglé en bonne et
due forme les droits de succession. On ne peut rien lui reprocher. Voilà pour le plan juridique. Et cela devrait suffire,
messieurs. » Visiblement, non. Il n’avait pas envie de s’arrêter, sûr de sa
victoire. « Mais je tiens à souligner l’humanité de sieur Lory. Il a
toujours bien traité son esclave Furcy. Ce dernier

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