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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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milliers de gens parlaient de lui. Il avait rejoint la prison. De plus en plus de noirs se rendaient à côté de son cachot, certains chantaient, d’autres faisaient du bruit pour manifester leur soutien. On se relayait, il
n’était jamais seul. Son histoire faisait le tour de l’île d’une
manière extraordinaire. On se demande ce que Furcy pouvait bien penser. Était-il
fier ? Pouvait-il se contenter d’être un symbole ? Et Célérine,
ne lui manquait-elle pas ? On n’arrive pas à imaginer s’il adoptait l’attitude d’un homme qui se sacrifiait pour une cause, ou
s’il trouvait son sort injuste. Peut-être même regrettait-il
d’avoir déclenché tout cela ? Cela en valait-il la peine ? De
toute son existence, à plus de trente-deux ans, il n’avait connu
que l’esclavage et la prison. Une vie enfermée. Une nuit, alors que Desbassayns rentrait chez lui, il surprit
une conversation entre deux noirs : ils évoquaient Furcy en
chuchotant. On sentait de l’admiration dans leur voix. Ils sedisaient que, peut-être, eux aussi pourraient revendiquer la
liberté. Ces bruits inquiétèrent Desbassayns. Il conseilla à Joseph
Lory d’éloigner l’esclave de Bourbon. Cela tombait bien, la
famille de Lory possédait une habitation à l’île de France. Il
allait leur vendre Furcy, pas trop cher. On le fit sortir de prison le 2 novembre 1818, à 17 h 30.
La nuit était en train de tomber sur Saint-Denis, et les rues
commençaient à se vider. Il faisait frais. Lory avait suivi à la
lettre les recommandations de Desbassayns : il avait vendu
Furcy à son frère aîné, Pierre Lory-Routier, et l’avait embarqué
immédiatement sur le bateau Le Clélie, il lui avait retiré de
force tous les papiers qu’il possédait. Direction : île de France.
Le voyage dura dix jours, l’esclave avait une chaîne qui reliait
sa main droite à son pied droit. Le 12 novembre, ils arrivèrent à Port-Louis. Le matin était
magnifique et animé. Par certains côtés, la ville avait des airs
de Saint-Denis, elle respirait un parfum sucré et paraissait
bienveillante. L’habitation du frère de Lory, qui possédait une plantation
sucrière, se trouvait à une vingtaine de kilomètres de Port-Louis. On obligea Furcy à marcher presque toute la journée.
Après une année de captivité, il n’en avait plus l’habitude, ses
genoux lui faisaient mal et ses jambes étaient enflées. Il arriva
exténué. Ce fut Pierre Lory-Routier qui l’accueillit. Furcy
remarqua qu’il avait six doigts à chaque main, un doigt mort
était collé au petit (entre eux, les esclaves l’appelaient monsieur Six-Doigts). Il pointa son index vers le visage de Furcy : « Je t’ai acheté 700 piastres à mon frère. Tu as intérêt à marcher droit, et je saurai te faire marcher droit. » Furcy ne répondit rien.

26
    Furcy a passé dix-huit années de sa vie à l’île de France, et
je n’ai trouvé que des bribes d’informations sur lui. Dix-huit
années de son existence, de 1818 à 1836, dans cette région que
l’on appelle aujourd’hui l’île Maurice. Je voulais absolument
savoir ce qui s’était passé durant cette longue période. Il existe
si peu de traces. Je ne sais plus où j’ai entendu parler d’une
correspondance échangée entre Furcy et Boucher. J’ai cherché
ces lettres sans vraiment croire à leur existence. On dit tellement de choses. C’était improbable : à supposer qu’elles aient
existé, elles seraient déjà diffusées partout... J’ai pris l’avion pour la Réunion afin de me rendre aux
Archives départementales, à Saint-Denis. J’ai pris l’avion
comme si j’allais à la rencontre de Furcy, sans trop d’espoir,
mais sait-on jamais. Auparavant, j’avais déniché quelques
coordonnées auprès d’associations dont le but était de remonter
la généalogie des esclaves, l’une d’elles était spécialisée dans
la recherche de descendants originaires de l’Inde. Je fus agréablement surpris de voir à quel point les énergies se sont mobilisées alors que j’avais à peine esquissé l’objet de ma
démarche : retrouver Furcy ou sa sœur et, peut-être, les lettresdont on parlait si elles existaient. Des femmes et des hommes
de toutes origines, y compris certaines personnes issues de
familles coloniales, m’ont proposé spontanément leur aide,
sans rien connaître de mes motivations. Aux Archives départementales de la Réunion, on m’a permis
de consulter de façon exceptionnelle

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