Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
Vom Netzwerk:
ruine ? Non ! Il n’est ici que pour lui-même. Les marques d’intérêt qu’il a reçues du trône le
prouvent assez, et j’en suis, moi son défenseur, la meilleure
preuve. Si l’on eût voulu donner à cette cause du retentissement, de l’éclat, est-ce à moi qu’on se fût adressé ? Mon cher
collègue n’eût-il pas rencontré un adversaire plus digne de
lui ? » Thureau continua en rappelant que Furcy, émancipé par les
autorités britanniques, était là parce qu’il désirait la liberté
absolue, la liberté accordée par la loi de la France. Il le faisait
pour lui, bien sûr, mais aussi pour ses enfants, pour accéder
aux droits et aux devoirs des hommes libres, aux cérémonies
de mariage, à la sépulture. L’avocat trouva de superbes mots
pour dire tout cela, il affirma que l’esclave voulait « effacer la
tache imprimée à sa naissance ». Il se permit cette conclusion : « Oui, Furcy n’est là que pour lui-même, mais si les grands
principes qu’il invoque pouvaient profiter à quelques-uns de
ses compagnons d’esclavage ; que si votre arrêt pouvait briser
encore d’autres chaînes, pourquoi le cacherais-je ?, j’en serais
heureux, j’en serais fier. Vous-mêmes, messieurs, vous seriez
les premiers à vous en féliciter. La religion et l’humanité s’en
féliciteraient avec vous. Je vous remercie. » Il n’avait pas fini de prononcer ces derniers mots que toute
la salle se leva comme un seul homme et se mit à applaudir à
nouveau, plus fort que tout à l’heure, avant la suspension.
Furcy se leva également et regarda longuement Thureau. Il
n’applaudissait pas, mais ses yeux fixaient ceux de son avocat. Il y avait plus que de la reconnaissance, un sentiment de
fraternité.

35
    Le président Portalis arriva le dernier, quand tous les autres
étaient déjà assis. Ils se levèrent. Il fit un signe de tête presque
amical leur indiquant qu’ils pouvaient se rasseoir. Lui resta
debout. Il attendit quelques secondes, il y eut un grand silence.
Furcy l’observait. « Messieurs, a annoncé le président, qui s’étonnait lui-même
du ton de sa voix qui lui semblait trop solennel. Je tiens tout
d’abord à remercier monsieur le procureur, messieurs les avocats pour la haute tenue de ces débats qui honorent la justice
de notre pays. » Puis, il lut, d’un ton monocorde, cette fois, une feuille qu’il
tenait d’une main légèrement tremblante. « La Cour, statuant par suite du renvoi prononcé par la Cour
de cassation, considérant que c’était une maxime de droit
public que tout esclave qui touchait le sol français devenait
libre ; que, si des édits en vigueur à cette époque, relatifs à
l’esclavage dans les colonies, permettaient aux maîtres qui
amenaient leurs esclaves en France, d’en conserver la propriété, ce n’était qu’à la charge de remplir les formalités prescrites par les ordonnances. » On ne comprenait pas où il voulait en venir, allait-il déclarerFurcy libre ou coupable ? Son ton ne trahissait rien. Il s’arrêta
une seconde, comme s’il cherchait sa respiration, surpris de ne
pas pouvoir maîtriser son émotion. Il continua, sur un ton à
peine différent du début. Il prononçait chaque phrase en la
martelant avec la main pour marquer sa fin, ce qui donnait un
rythme assez surréaliste à son discours, on aurait dit qu’il priait
ou qu’il déclamait. « Considérant qu’il y a dans la cause des présomptions suffisantes pour établir que la fille Dispense n’a pas rempli ces
formalités. « Qu’en effet, la fille Dispense avait amené Madeleine en
France dans l’intention de la faire élever dans la religion catholique. « Qu’on peut d’autant moins admettre la volonté de la fille
Dispense de maintenir Madeleine en esclavage et de remplir
les formalités coûteuses imposées par les règlements que, peu
de temps après son arrivée en France, elle en a fait donation à
la dame Routier à charge par elle de lui procurer son affranchissement. » Puis, s’interrompant plus longuement, le président Portalis
posa sa feuille. Il leva les yeux vers la salle, et il affirma d’une
voix sûre qui ne prêtait à aucune équivoque : « Sur la base de toutes ces considérations... La Cour dit que
Furcy est né en état de liberté. » C’était un samedi après-midi, le 23 décembre 1843. Après le verdict, Furcy refusa les 10 000 francs de dommages et intérêts que le jugement lui octroyait.

36

Weitere Kostenlose Bücher