L'affaire de l'esclave Furcy
faciles pour vous. Rendre à Dieu ce qui lui
appartient, travailler en bons ouvriers comme vos frères de
France, pour élever vos familles ; voilà ce que la République
vous demande. Vous avez tous pris des engagements dans le travail :
commencez-en dès aujourd’hui la loyale exécution. Un homme libre n’a que sa parole, et les promesses reçues
par les magistrats sont sacrées. Vous avez vous-mêmes librement choisi les propriétaires
auxquels vous avez loué votre travail : vous devez donc vous
rendre avec joie sur les habitations que vos bras sont destinés
à féconder et où vous recevrez la juste rémunération de vos
peines. Je vous l’ai déjà dit, mes amis, la Colonie est pauvre, beaucoup de propriétaires ne pourront peut-être payer le salaire
convenu qu’après la récolte. Vous attendrez ce moment avec
patience. Vous prouverez ainsi que le sentiment de fraternité
recommandé par la République à ses enfants, est dans vos
cœurs. Je vous ai trouvés bons et obéissants, je compte sur vous.
J’espère donc que vous me donnerez peu d’occasions d’exercer
ma sévérité ; car je la réserve aux méchants, aux paresseux,
aux vagabonds et à ceux qui, après avoir entendu mes paroles,
se laisseraient encore égarer par de mauvais conseils. Mes amis, travaillons tous ensemble à la prospérité de notre
Colonie. Le travail de la terre n’est plus un signe de servitude
depuis que vous êtes appelés à prendre votre part des biens
qu’elle prodigue à ceux qui la cultivent. Propriétaires et travailleurs ne feront plus désormais qu’une
seule famille dont tous les membres doivent s’entraider. Tous
libres, frères et égaux, leur union peut seule faire leur bonheur. La République, mes amis, a voulu faire le vôtre en vous donnant la liberté. Qu’elle puisse dire que vous avez compris sa
généreuse pensée, en vous rendant dignes des bienfaits que la
liberté procure. Vous m’appelez votre père ; et je vous aime comme mes
enfants ; vous écouterez mes conseils : reconnaissance éternelle à la République française qui vous a fait libres ! Et que
votre devise soit toujours Dieu, la France et le Travail. Vive la République ! Ce texte, Sarda Garriga l’avait réécrit une dizaine de fois, il
l’avait lu pour lui-même. Il avait beaucoup répété face à un
miroir. Il en était fier, et pensait qu’un jour, peut-être, il aurait
à le prononcer devant l’assemblée, comme l’abbé Grégoire ou
Victor Schœlcher l’avaient fait avant lui.
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Furcy passa à côté de l’affiche du discours de Sarda, et la lut
entièrement. Certains passages le faisaient sourire, il doutait
de la fraternité des propriétaires. À deux mètres de l’affiche, on avait oublié de retirer une
petite annonce, vestige d’un passé très présent. Furcy put y
lire, rédigé en caractère gras : À VENDRE
ESCLAVE AVEC SA FAMILLE
Le sieur MARTIN vend un Malabar robuste
pouvant servir à l’habitation, un noir
de Mozambique, trentaine d’années, solide,
excellent travailleur dans les
plantations, et son fils de 14 ans environ
jouissant d’une bonne santé et propre,
un beau Cafre provenant d’une succession.
Le sieur MARTIN accordera des facilités
aux personnes solvables. Sarda-Garriga était arrivé à Bourbon deux mois avant sa
déclaration sur la place du Gouvernement. Le bateau pouvaitaccoster dans l’après-midi du vendredi 13 octobre 1848 mais,
par superstition, il n’avait souhaité mettre les pieds à terre
qu’au petit matin du 14 octobre. Avant même de débarquer, on
avait tenté de le déstabiliser. Quelques-uns avaient lancé la
rumeur selon laquelle le bateau L’Oise sur lequel il se trouvait
avait coulé. Les colons s’étaient organisés pour trouver des parades juridiques afin d’éviter l’abolition dans l’île. Des noirs libres
s’étaient joints aux propriétaires blancs, car eux aussi refusaient de voir les esclaves s’affranchir ; c’est ainsi, d’anciens
asservis s’opposaient à l’abolition. Ils avaient organisé un
« conseil colonial », dans le but de faire de Bourbon un État à
part, un pays souverain où ne régnerait pas l’émancipation,
une île indépendante où il ferait bon vivre l’esclavage... Ils
avaient réussi leur coup en 1802, pourquoi pas une nouvelle
fois ? Sarda leur montra un document émanant du roi. Et,
étrangement, comme si un tampon suffisait, le calme était
revenu. En contrepartie, de nombreux planteurs étaient
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