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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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    J’aurais voulu que Furcy assistât à cette scène mais était-il
encore vivant à cette date-là, à soixante-deux ans ? C’est le
jour où Sarda-Garriga, le commissaire général de la République, vint annoncer aux Bourbonnais, l’abolition de l’esclavage. C’était un mercredi matin, le 20 décembre 1848, il y
avait des milliers d’esclaves à Saint-Denis, sur la place du
Gouvernement qui se trouvait à quelques mètres du bord de la
mer. C’était un jour de fête, et en même temps l’heure était
grave. Il y en avait qui exultaient, d’autres dansaient la shéga, cette
danse des esclaves ; les gosses sautillaient sans bien comprendre. On voyait quelques gardes à cheval qui semblaient
plutôt tranquilles, l’ambiance était bon enfant. Il y avait aussi
quelques colons qui s’étaient mis à l’écart. Le ciel était
dégagé. J’imagine que Furcy se serait tenu en retrait de la foule, loin
de la liesse qui accompagnait la venue de Sarda-Garriga. Je ne
crois pas qu’il aurait été heureux, mais il aurait enfin ressenti
une sorte de soulagement. Plus aucun esclave n’aurait à se
battre comme il l’avait fait, lui. Plus aucun esclave n’aurait à
sacrifier sa vie dans une bataille judiciaire. Plus aucun esclaven’aurait à fuir, ou à se donner la mort. Ce soulagement aurait
été accompagné d’une impression de gâchis, car tout aurait
pu arriver bien plus tôt. Après la fête qu’il aurait davantage observée que vécue, il aurait eu envie de voir Célérine,
et l’idée lui serait venue que l’on peut priver un homme
de liberté, mais pas d’amour et encore moins du sentiment
amoureux. Sarda-Garriga arborait l’écharpe tricolore. On voyait bien
qu’il avait le sentiment d’annoncer un événement historique. Il
feignait l’humilité, mais son visage ne pouvait s’empêcher
d’afficher de la fierté. Il y avait comme une part de comédie, et
en même temps quelque chose de touchant dans son regard, il
était visiblement heureux d’être le messager de l’abolition de
l’esclavage, de représenter Victor Schœlcher, de donner du
bonheur aux gens. Il se sentait en mission, et avait à cœur de
réussir la « transition ». D’autres îles avaient vu le sang couler,
il voulait éviter ça. De sa main droite légèrement baissée il tenait l’annonce.
Sarda se trouvait à un mètre de la foule, il n’y avait que des
noirs autour de lui. Il portait un costume de cérémonie, une
sorte de redingote, une chemise blanche avec un nœud papillon.
Cet habit sombre était une faute de goût. À Bourbon, les
hommes importants portaient des vêtements colorés. Des noirs
en souriaient et, à cause de cela, doutaient de la crédibilité du
nouveau commissaire général de la République. Son vrai nom
était Joseph Napoléon Sébastien Sarda, et il se faisait appeler
Sarda-Garriga. D’après les rumeurs, il tenait cet étonnant
prénom du fait qu’il aurait été le fils naturel de Joseph Bonaparte, roi de Naples, puis roi d’Espagne sous le premier Empire
— une rumeur infondée. Arrivé deux mois avant la proclamation, il avait mis en placeun système de transition qui permettait aux esclaves devenus
libres de signer un vrai contrat de travail avec des propriétaires
— le plus souvent avec leurs anciens maîtres. Sur la place du Gouvernement, on avait installé un petit
monument sur lequel trônait le buste de Marianne. Sarda-Garriga se trouvait juste devant. Derrière lui, on pouvait lire une
plaque où figurait le mot « Liberté ». Le peintre Garreau a
immortalisé la scène avec un tableau où l’on voit que tous les
noirs qui assistent à la déclaration de l’abolition de l’esclavage
portent beau. Une femme assise devant Sarda tient son bébé
endormi, elle regarde sereinement le nouveau commissaire
général avec les yeux de l’affection. Ainsi Sarda lut cette déclaration qui serait affichée dans
toutes les villes de Bourbon. Mes amis. Les décrets de la République française sont exécutés : Vous
êtes libres. Tous égaux devant la loi, vous n’avez autour de
vous que des frères. La liberté, vous le savez, vous impose des obligations. Soyez
dignes d’elle, en montrant à la France et au monde qu’elle est
inséparable de l’ordre et du travail. Jusqu’ici, mes amis, vous avez suivi mes conseils, je vous en
remercie. Vous me prouverez que vous m’aimez en remplissant
les devoirs que la Société impose aux hommes libres. Ils seront doux et

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