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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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pas la théorie de l’abolition. » Il doutait vraiment,
mais dans le regard de Furcy il lisait un encouragement à continuer dans cette voie-là. « On crut pouvoir disposer d’un peuple dont les traits, la
chevelure, la couleur, les mœurs différaient des nôtres. On sut
même intéresser la religion à un attentat qu’elle devait
condamner ; et pour repeupler l’Amérique, l’esclavage et la
traite des nègres d’Afrique furent décrétés, le fléau de la traite
dût-il s’étendre et frapper d’autres races. Voyez les lois qui ont
organisé l’esclavage dans nos colonies, elles ne parlent que
des nègres d’Afrique ; jamais elles ne supposent même qu’il y
ait d’autres esclaves. » Thureau s’emportait, il levait souvent sa main droite comme
pour appuyer sa démonstration. « Il y a plus, messieurs, dit-il, en montant d’un ton et en prenant de l’assurance. Non seulement la loi manque qui déclare
les Indiens esclaves, mais la loi existe qui les déclare libres,
c’est l’ordre du roi du 2 mars 1739. Les noirs d’Afrique ne
suffisaient plus à l’avidité des négriers. On s’attaquait aux
Caraïbes et aux Indiens. Or, l’ordre royal du 2 mars 1739, je le
répète, vint réprimer ce criminel abus et proclamer de nouveaule droit de ces peuples à la liberté. Ainsi aucune loi n’a autorisé la traite des Indiens. » Il poursuivit, sans marquer la moindre pause. « Vaines théories, dira-t-on, qui viennent se briser contre la
puissance des faits ! Avant 1792, l’esclavage des Indiens existait à Bourbon et à Pondichéry, comme il existait, il y a quelques mois encore, dans l’Inde anglaise ; et cet état de choses
avait été reconnu à Pondichéry par plusieurs règlements de
police. » L’avocat de Furcy s’arrêta un instant qui parut long à l’assistance. Il regarda la salle, comme s’il cherchait sa phrase. Puis
se reprit. « Il serait ici permis de répondre qu’un fait n’est pas un
droit, que des règlements de police ne sont pas des lois, et
qu’il faut autre chose qu’un fait et qu’un règlement de police
pour constituer un peuple en état d’esclavage. » Dans les moments de doute, Thureau se tournait vers Furcy,
cherchant dans son regard un indice, un signe. Il savait que les
mots qui allaient suivre devaient être bien entendus. Il toussota
dans son poing, et prononça avec une vigueur qu’il ne se
connaissait pas : « La traite n’a jamais été permise ni même pratiquée sur les
côtes de Malabar ; il y eut seulement quelques abus, et des victimes. Parmi ces victimes se trouvait la mère de Furcy ! Jeune
encore, elle a été enlevée à sa famille et à sa patrie, exportée
en France, réexportée à Bourbon, retenue dans l’esclavage,
donnant le jour à des enfants esclaves ! Mais aujourd’hui l’un
de ces enfants relève la tête : il s’adresse à vous, messieurs ! Il
vous prouve qu’il est indien, qu’aucune loi n’autorisait la traite
dont Madeleine a été l’objet, que sa mère était libre de droit,
que par conséquent il est libre lui-même ! Rendez-lui donc
cette liberté qu’il n’aurait jamais dû perdre ; proclamez soningénuité ! Vous le devez, car ses titres à la liberté sont
incontestables. » À partir de là, Thureau sembla avoir chassé ses doutes. Par
instants, il serrait le poing tenant un objet invisible que pour
rien au monde il n’aurait lâché, puis comme pour marquer le
temps de la réflexion, il joignait ses deux paumes à la manière
d’un homme en train de prier dans l’intimité. Il apostropha
l’avocat de Joseph Lory en le défiant du regard. « Maître Moreau, vous nous demandez de respecter le droit,
rien que le droit. Alors respectons-le. Et rappelons à cette cour
qui nous regarde la maxime qui fait et qui fera encore l’honneur de notre pays. Les précédents défenseurs l’ont répétée, et
je ne voudrais pas manquer à mon devoir en ne la proclamant
pas ici. Je voudrais qu’elle soit entendue ici. Messieurs, Nul
n’est esclave en France. Je veux le dire avec orgueil. Car cette
maxime est la base fondamentale de notre droit national. Elle a
été inspirée par l’esprit chrétien et par le caractère français. » L’assistance resta figée, comme électrisée par les paroles de
Thureau. L’avocat de Lory le remarqua, il eut le sentiment qu’il
allait perdre. Thureau apostropha la salle : « Alors, quelle conclusion, messieurs ? C’est assez simple,
mais beaucoup

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