L'affaire du pourpoint
remarquaient point tant. Elles semblaient même s’estomper, et son visage s’adoucissait depuis ses épousailles. Son nom exact était Brockley, désormais, toutefois j’avais l’habitude de l’appeler Dale et elle d’être appelée ainsi, de sorte que nous continuions de même.
Le mariage lui seyait, pensai-je. Sans être un Adonis, Brockley possédait une indéniable séduction, avec cette souplesse robuste et cette force intérieure parfois plus attirantes que les traits du visage. Il se révélait plein de ressources, le genre d’homme sur lequel une femme peut s’appuyer. S’il avait été palefrenier avant d’entrer à mon service, il avait également servi comme soldat en Écosse et en France, sous le règne du roi Henri. Il connaissait la vie.
Lorsque je l’avais engagée, Dale était encline à se plaindre sans cesse ; ce défaut s’était atténué depuis son mariage, bien que travailler pour moi n’eût jamais été commode, et que mon caractère ne se fût certes pas amélioré.
J’étais souvent irascible par pure jalousie, parce que Dale avait son mari auprès d’elle tandis que je me languissais du mien. Les motifs qui, à l’époque, m’avaient poussée à cette séparation paraissaient légitimes et honorables, toutefois j’avais appris, au fil de nuits solitaires et de longues journées vides de sens, que si la vertu est une récompense en soi, c’est bien la seule. Je me répétais que j’avais eu raison de placer l’intérêt de la reine et la sécurité du royaume avant mon bonheur, mais cela n’apaisait ni ma langueur ni mon affliction. Matthew me manquait.
Après bien des larmes secrètes, j’avais traduit mes sentiments par des mots et trouvé un messager – un marchand partant pour la vallée de la Loire, où je supposais que Matthew se trouvait. Je priai le ciel afin que ma lettre lui parvînt, tel un pont au-dessus de l’abîme qui nous séparait, et pour qu’il répondît.
Jusqu’alors, sa seule réponse avait été le silence. Je tentais de me convaincre que ma missive n’était pas arrivée entre ses mains, cependant je craignais qu’il ne voulût plus de moi, et qui aurait pu l’en blâmer ? J’avais hésité à lui écrire à nouveau. Maintenant, enfin, le message était là.
Que me réservait-il ? Tandis que Dale libérait mes longs cheveux noirs de leur résille argentée et commençait à les brosser, je retournais la lettre entre mes doigts. À l’instant où j’avais reconnu l’écriture de Matthew, la joie m’avait submergée, puis l’idée m’était venue qu’elle pouvait aussi bien contenir un rejet amer qu’une invitation passionnée.
Je la décachetai, craintive.
CHAPITRE II
De délicats mécanismes
Dépliant la lettre, je me demandai où et quand il l’avait écrite. Au matin, près d’une fenêtre donnant sur la Loire ? Il m’avait décrit le fleuve, sa beauté, ses humeurs. L’onde scintillait-elle au soleil ou était-elle criblée par la pluie ? Était-ce plutôt la nuit, à la lueur d’une lampe à huile ou d’une chandelle ? Était-il pensif, malheureux ou encore furieux ? Sa plume courait-elle, rapide, les mots se déversant de son cœur, ou avançait-elle avec lenteur tandis qu’il soupesait chaque terme ?
Qu’avait-il dit ? Eh bien, Ursula : lis donc. Alors tu sauras.
La lettre était en français. Elle commençait avec brusquerie, sans terme d’affection.
Ursula,
J’ai reçu votre missive, me demandant si je tiens encore à vous et si j’accepterais de vous reprendre en tant qu’épouse. Que vous dire ? Une moitié de mon être se réjouit de vous lire, n’aspire qu’à vous appeler ma bien-aimée et à vous tendre les bras. L’autre moitié éprouve des sentiments pour le moins différents. Cette moitié-là veut jeter votre lettre au feu et vous oublier. Comment avez-vous pu m’abandonner ainsi ? Vous prétendez avoir eu des raisons honorables d’agir comme vous l’avez fait. Vous vous prévalez d’un devoir envers la reine. Et votre devoir envers votre époux, qui avait juré de vous aimer et de vous protéger toujours ? Et l’amour que vous disiez ressentir à mon égard ? Vous rappelez-vous nos nuits, enlacés l’un contre l’autre ? Vous rappelez-vous combien j’aimais votre esprit, et quel petit nom je vous donnais ? Vous désirez me rejoindre si je vous accepte et si je suis prêt à offrir un foyer à votre petite fille. Meg, je la recevrai avec joie,
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