L'affaire du pourpoint
vous quitterai pas, à moins que Brockley ne me le demande.
— Brockley ?
— Je n’ai nul désir de vous quitter, et je conçois que vous vous sentiez tenue de braver le danger. Je n’en pense pas moins que c’était une erreur : l’ennemi pourrait réussir, à la prochaine tentative ; alors, en quoi cela servira-t-il à la reine ou à quiconque ? Vous auriez dû me consulter, madame.
— Et quel autre plan auriez-vous suggéré ? Mon seul regret, c’est de n’avoir pu voir la cave.
— Il y en avait donc une, sous cette échoppe ? s’étonna-t-il. Pour autant que j’ai pu en juger, l’unique escalier montait vers l’étage.
— L’acte de propriété que j’ai trouvé en faisait état, et il me semble que la tenture du bureau dissimulait une porte. Ce pourrait être le moyen d’y accéder.
— Si vous croyez que ce qui se trouve dans la cave de Mew vaut la peine d’être vu, la fouiller est une bien meilleure idée que de servir de fromage dans un piège à souris. Sitôt notre arrivée, je prendrai un cheval frais et je repartirai pour Windsor. Le ciel se dégage ; je voyagerai au clair de lune. Si je parviens à m’introduire dans la maison, je fouillerai le sous-sol. Que dois-je chercher ?
J’avais l’instinct de la chasse, je le savais, et voilà que Brockley semblait l’éprouver à son tour. Il n’en allait pas de même pour Dale, qui protesta d’une voix pantelante.
— Oh, Roger ! Je t’en prie, non !
— Brockley, pas question que vous agissiez seul. Je viens avec vous. Cela m’incombe et…
— Vous ne viendrez très certainement pas avec moi, madame. J’y veillerai même si je dois vous assommer, déclara Brockley, quittant son apparence de parfait serviteur pour redevenir le soldat. Je fouillerai cette cave tout seul. Croyez-moi, il n’y a pas là matière à discussion.
— Je ne vois pas comment vous pourrez entrer, remarquai-je. Mew habite sans doute au-dessus de la boutique et toutes ses portes sont munies de verrous. Il doit se barricader, la nuit.
Brockley eut l’un de ses rares sourires.
— Je ne me doutais pas qu’il y avait une porte derrière la tenture, madame – pour le coup, c’est vous qui avez eu le regard vif –, toutefois j’ai remarqué une ou deux petites choses : par exemple, que la fenêtre du bureau donnait sur un jardin, et que ce jardin était dans un triste état.
— Oui, à croire qu’on y cultive le pissenlit et le chardon, mais je ne vois pas…
— Ce n’était pas seulement le jardin. Tout au fond, la palissade était elle aussi délabrée. Si je n’arrive pas à passer à travers ou par-dessus, je ne m’appelle plus Roger Brockley. J’ai remarqué en outre que, bien que les fenêtres de la façade aient des volets, ce n’est pas le cas de celle du bureau, et l’encadrement est gauchi. Une lame bien affûtée, insérée à l’intérieur, soulèverait aisément le loquet.
Tout comme elle avait soulevé celui de l’armoire de Leonard Mason. Je sentis le feu me monter aux joues. Brockley, cependant, poursuivit tout naturellement :
— Ce Mew, quel homme stupide et négligent ! Il verrouille les fenêtres de la rue, mais estime que le jardin et sa palissade sont des protections suffisantes à l’arrière ! Oui, je crois bien que j’entrerai dans cette maison, mais tout seul.
— Roger, je t’en prie ! Je t’en prie, n’y va pas ! l’implora Dale.
— Il le faut. Dame Blanchard a raison, Fran. C’est une question de principe, comme pour Sir Thomas More. L’enjeu est tel qu’il mérite de prendre des risques. Maintenant, madame, je vous le demande à nouveau : que dois-je chercher ?
Je n’avais cessé de réfléchir depuis notre départ pour Thamesbank. Je ne voyais toujours pas la place qu’occupait la boîte à musique, et je n’arrivais pas à me rappeler ce second souvenir fugitif qui m’avait effleurée dans le bureau de Leonard Mason. Cependant, l’acquisition secrète de coûteuses tapisseries et l’étrange commande de Mew avaient fait naître une théorie dans mon esprit. Elle n’était pas du genre auquel je me serais attendue, car je ne discernais pas le rôle que Marie Stuart pouvait y jouer. Cela ressemblait plutôt à un crime ordinaire, pourtant l’idée me revenait sans trêve. Je ne perdais rien à en faire part à Brockley.
— Mieux vaut mener vos recherches en gardant l’esprit ouvert, recommandai-je. Ma théorie est bien éloignée de ce que
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