L'affaire du pourpoint
Lockhill. Du moins, je tâchais de m’en convaincre, car sinon je me serais enfuie sans demander mon reste.
Je me sentais assez en sécurité dans ma chambre. On y avait préparé des chandelles, et des bûches dans la cheminée. J’appelai Jennet pour les allumer. Puis Dale vint me rejoindre et entreprit de me préparer pour la réception. Je demandai si Brockley était déjà parti ; elle répondit par l’affirmative, et me raconta qu’il avait pris un bon cheval comme s’il en avait la permission. Cependant, sa voix se brisa et je la sentis malhabile tandis qu’elle me coiffait. Je cherchai son regard dans le miroir, et vis qu’elle pleurait. Elle détourna la tête, mais je lui ôtai avec douceur le peigne qu’elle tenait.
— Dale ?
Elle avait la gorge trop serrée pour répondre et s’essuya rapidement les joues du bout des doigts.
— Vous vous inquiétez pour Brockley ?
— Oui, madame. Je sais que ce n’est pas à moi de le dire, mais ce qu’il va faire pourrait être dangereux. C’est vrai, n’est-ce pas ?
— Ne pensez pas à ce que vous pouvez dire ou non.
Je me retournai sur mon tabouret et je la regardai dans les yeux, de femme à femme.
— Oui, c’est dangereux. Oui, c’est à moi qu’il appartiendrait d’affronter ce péril. Si c’est ce que vous pensez, Dale, alors nous sommes d’accord. Seulement, il ne voulait pas que j’en coure le risque.
— Je sais, gémit-elle, mais pourquoi faut-il que ce risque existe ? Une dame comme vous ne devrait pas être mêlée à de telles affaires. Ce n’est pas convenable !
Elle enfouit son visage entre ses mains. Elle tenait encore la brosse, dont les piquants repoussèrent son bonnet en arrière. Une mèche de cheveux bruns, grisonnants, retomba sur son front, pathétique.
— Dale, dis-je d’une voix douce, c’est pour la reine, vous le savez. Nous servons tous Élisabeth.
— C’est pour la reine ? sanglota-t-elle. Bien vrai ? Court-il ce danger pour elle, madame, ou pour vous ?
— Pour nous deux, je suppose. Moi aussi je m’inquiète, mais c’est un homme capable. Il sera de retour à l’aube, vous verrez. Je pense que vous avez besoin de souper. Vous vous sentirez mieux, après.
— J’ai déjà mangé. Avec Brockley, avant qu’il ne parte, hoqueta Dale entre le rire et les larmes.
— Je suis heureuse qu’il ait pris cette sage précaution. Bien ! dis-je, me levant et allant à la porte. Maintenant, nous allons savourer un verre de vin ensemble. Nous en avons grand besoin toutes les deux.
Je sortis la tête dans le couloir et appelai Jennet.
Le marchand Bernard Paige avait critiqué ma toilette crème et fauve, et laissé entendre que le vert était pour moi une couleur difficile à porter. Jusqu’alors, j’aimais bien le fauve et le vert pâle, mais ses remarques m’avaient influencée. Je m’étais laissé convaincre d’acheter un damas jaune d’or, et pendant que j’enseignais la couture aux filles avant de partir pour Windsor, je m’étais confectionné un corsage à basques et une jupe, du plus bel effet sur ma cotte crème. Ce soir-là, j’arborerais mon nouvel ensemble pour la première fois.
Je le complétai d’une fraise immaculée, de pantoufles brodées d’or et d’un pendentif en perle avec des boucles d’oreilles assorties. Auparavant, j’avais dû vendre mes bijoux pour entretenir Meg, mais l’argent gagné en perçant Robin Dudley à jour m’avait permis de les remplacer. Dale, un peu réconfortée par le vin, ramassa ma chevelure dans une résille dorée. Je déposai sur mes poignets une touche d’eau de rose, et m’en fus.
La porte de la classe était ouverte ; de la galerie, par-delà la seconde porte, me parvint la rumeur d’une conversation. Quelqu’un rit, et des notes furent égrenées sur l’épinette. En rejoignant la compagnie, je vis les Mason réunis au grand complet. Pen avait l’air d’une jeune fille dans sa robe à fraise bordée de dentelle. Je remarquai avec amusement qu’elle continuait à se comporter de façon responsable et s’occupait de ses sœurs. Maintenant que le froid avait perdu de son âpreté, la chaleur du feu atteignait les baies vitrées les plus proches, et Pen avait installé Jane et Cathy dans un de ces renfoncements, ou toutes cousaient, Pen les surveillant telle une gouvernante consciencieuse.
George et Philip, très abattus et l’allure raide dans leurs plus beaux habits, étaient assis près de
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