L'affaire Nicolas le Floch
salon de l'œil-de-bœuf. La Borde le serra dans ses bras.
— La comtesse vient de partir pour la maison du duc d'Aiguillon à Rueil.
— J'ai croisé sa voiture sous l'arcade. Comment se porte le roi ?
— Silencieux, ne parlant que pour demander ce dont il a besoin. Il s'interroge pour savoir si la dame est partie. Je lui ai dit que cela s'était déroulé ce matin, pour ne le point troubler. « Quoi, déjà ? » m'a-t-il répondu. Deux larmes lui sont sorties et il s'est retourné pour ne plus parler. Il a reçu l'archevêque.
Et la longue attente reprit. Le soir, le roi, se sentant mieux, voulut se lever. Les médecins y consentirent. On lui mit des pantalons. Quand il voulut marcher jusqu'à son fauteuil, la douleur des boutons à la plante des pieds et des vésicatoires le poigna tant qu'il se trouva mal. On le reporta à sa couche.
Du vendredi 6 au mardi 10 mai 1774
La nuit fut agitée avec un peu de délire. Madame Adélaïde, sur un fauteuil, accomplissait les soins dont se chargeait auparavant la comtesse du Barry. La Borde et Nicolas se relayaient à ses côtés, lui tendant des linges humectés. Dans la journée, le roi revit le cardinal de la Roche-Aymon et l'archevêque de Paris. Il refusa de leur parler, prétextant ne pouvoir rassembler deux idées. Le soir, son visage paraissait plus noir et la voix se ressentait des grains qui gênaient le nez et la gorge. Dès qu'on parlait de confession, il répétait qu'il craignait que le pus de ses boutons ne se mêlât à la sainte hostie ; c'était chez lui comme une obsession qui désespérait ses filles. Le samedi se déroula sans évolution notable.
Au petit matin du 7, le roi demanda au duc de Duras d'aller chercher l'abbé Maudoux, son confesseur, qui attendait prosterné dans la chapelle. Il le reçut plus d'un quart d'heure. Comme s'il avait tout calculé à l'avance, il retrouva une présence d'esprit qui stupéfia ses entours. Il s'entretint avec M. d'Aiguillon, puis fit entrer Mesdames, les priant d'éveiller ses petits-enfants tout en prescrivant exactement jusqu'où ils devaient avancer. De fait, il donna tous les ordres nécessaires avant de parler à nouveau à son confesseur. À sept heures, la dauphine et la comtesse d'Artois se tinrent dans la chambre du conseil, Mesdames à la porte de la chambre, le dauphin étant demeuré en bas de l'escalier. Le service seul, ainsi que La Borde et Nicolas, entouraient le clergé en cercle autour du lit du roi qui reçut le saint viatique.
— Messieurs, dit l'évêque de Senlis, premier aumônier, le roi me charge de vous dire qu'il demande pardon à Dieu de l'avoir offensé et du scandale donné à son peuple, que si Dieu lui rend la santé, il s'occupera de faire pénitence, de soutenir la religion et de soulager ses peuples.
De la couche, sortit une voix éraillée.
— J'aurais voulu avoir la force de le dire moi-même.
Le dimanche 8, il y eut redoublement, puis le pouls et la fièvre augmentèrent et le visage devint effrayant. Nicolas comprit que l'issue était proche. À onze heures, on fit entrer les Sutton, célèbres inoculateurs anglais. Ils possédaient une poudre miraculeuse, spécifique efficient contre la petite vérole. Refusant d'en donner la composition, ils furent rejetés par la Faculté, qui ne voulait pas s'en remettre à l'inconnu, et chassés comme des charlatans.
Le lundi 9 mai, le roi ne donnait que peu de signes de vie. La Borde, épuisé, ne le quittait plus, et Nicolas s'efforçait de lui apporter le nécessaire pour qu'il ne tombe pas d'inanition. On fit prendre au roi une potion des plus fortes qui ne fit point d'effet. Vers dix heures, il fut décidé de l'administrer. Les entrées furent admises, les portes ouvertes et une foule, où Nicolas remarqua avec indignation que les curieux dominaient et que l'étiquette justifiait davantage certaines présences que le sentiment. Le corps du roi se détachait en lambeaux et il se dégageait de la chambre une odeur repoussante, malgré les fenêtres constamment ouvertes. Il était entouré de cierges éclairant son masque de bronze, un énorme visage de More aux traits non pas déformés mais grossis, les yeux couverts de croûtes et la bouche ouverte. Toute la nuit, le premier aumônier et le confesseur récitèrent les prières des agonisants. De temps à autre, le roi répondait aux prières et prononçait quelques paroles sans suite. La fièvre se soutint très forte jusqu'au petit matin du 10. La
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