L'affaire Nicolas le Floch
violence des convulsions faisait parfois porter son corps tantôt en travers, tantôt en long du lit qui avait été poussé vers les croisées. Les médecins continuaient à s'acharner, ne cessant de lui faire avaler des remèdes. Vers midi, l'agonie commença. Un peu après trois heures de relevée, au moment où le cardinal de la Roche-Aymont venait de prononcer les mots Profisiscere anima christiana , Louis XV expira dans les bras de M. de La Borde. On éteignit la bougie de la fenêtre sur la cour de marbre. À la porte de l'œil-de-bœuf, le duc de Bouillon annonça solennellement la mort du roi. On entendit alors dans le lointain une grande rumeur, comme un régiment qui chargeait, semblable à un roulement de tonnerre : c'était la foule des courtisans qui, désertant les appartements, courait pour aller saluer le nouveau souverain.
Nicolas descendit dans le parc. Un vent léger et plein de parfums de fleurs agitait les grands arbres. Une foule populaire occupait les allées. Au fur et à mesure que la nouvelle atteignait les promeneurs, le ton des propos et des rires se haussait. Il entendit deux ouvriers, dont l'un disait à l'autre : « Qu'est-ce que cela me fait ? Nous ne saurions être pis que nous sommes. » Il avait la gorge serrée comme si la peine éprouvée ne parvenait pas à sortir, encore accrue par l'indifférence générale. Il s'aperçut qu'il avait les poings si fermés que les ongles entraient dans la chair de ses paumes. Quand il revint au château, vers cinq heures, ce fut pour assister au départ de la famille royale, le roi et la reine pour Choisy et Mesdames pour la Muette, dans seize carrosses à huit chevaux. Un peuple innombrable et déjà oublieux garnissait la place et l'avenue, éclatant en acclamations au passage des voitures.
Dans les appartements désertés, le duc de La Vrillière dressait l'inventaire des objets trouvés dans la chambre et le bureau du roi. Le duc de Villequier, premier gentilhomme, avait donné ordre à M. Andouillé de procéder à l'ouverture et à l'embaumement du corps. Nicolas entendit le chirurgien ricaner.
— J'y suis prêt, monsieur le duc. Vous tiendrez la tête pendant que j'opérerai, ainsi que votre charge l'exige et, dans quarante-huit heures, nous serons morts tous les deux.
Personne n'insista. Pour Nicolas, les deux jours qui suivirent ressemblèrent à une montée au calvaire. On se contenta d'entourer le corps du roi de grands linges aromatisés avant de le coucher dans un cercueil de plomb enduit d'un mastic composé de chaux, de vinaigre et d'eau-de-vie camphrée. On souda le tout, qui fut placé dans un double cercueil de chêne. Des prêtres, des missionnaires, des Récollets et des Feuillants demeurèrent en prière dans la chapelle ardente jusqu'au moment du transport à Saint-Denis.
Jeudi 12 mai 1774
Le cortège funèbre devait partir vers la demie de sept heures, à la chute du jour. Naganda avait demandé à Nicolas la permission de l'accompagner pour rendre ses derniers devoirs à son souverain. Ils montèrent tous les deux dans la voiture de M. de La Borde. Celui-ci semblait avoir vieilli de plusieurs années. Tous trois demeuraient silencieux. Le cercueil fut mis dans un grand carrosse couvert de velours noir. Deux autres devaient mener les gentilshommes de la chambre, l'aumônier et le curé de Notre-Dame de Versailles. Ces voitures étaient celles dont le roi défunt se servait pour aller à la chasse. Les gardes-françaises et les suisses battaient au champ. Un groupe de pages qui, le mouchoir sous le nez, se tenaient éloignés du cercueil le plus possible, polissonnaient avec leurs flambeaux. Sur tout le parcours, ce convoi fut en butte aux plaisanteries des curieux. Tantôt le peuple criait « Taïaut ! Taïaut ! » comme avait coutume de le faire Louis XV à la chasse ; tantôt on chantait « Voilà le plaisir des dames, voilà le plaisir ! » Prévoyant, le roi avait fait construire la route de la Révolte qui permettait de joindre Versailles à Saint-Denis par la porte Maillot sans traverser Paris. La vieille basilique fut atteinte vers onze heures. Après quelques bénédictions, le cercueil fut descendu dans le caveau des Bourbons et on éleva aussitôt autour de lui un petit sarcophage de briques.
Bientôt, seuls quelques moines restèrent à prier au pied de l'autel, dans la lumière déclinante des cierges. Près d'un pilier, La Borde, Nicolas et Naganda, statue farouche, méditaient
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