L'affaire Nicolas le Floch
été levées. Il a fait un bond de sa pagode de Chanteloup à Paris et envisage d'aller faire sa cour au roi au château de la Muette.
— Ainsi, remarqua Nicolas sibyllin, certain voyage s'imposera dans des délais les plus rapides.
— Je doute que Choiseul reçoive jamais le moindre témoignage d'intérêt du nouveau roi encore qu'il faille compter avec la dauphine, je veux dire la reine, qui lui doit son mariage. Aussi, il ne faut jurer de rien. Et vous, monsieur, quels sont vos projets ?
— Je rejoins Brest demain, répondit Naganda, pour regagner les Amériques. J'ai appris avant-hier par des courriers que les événements que j'avais annoncés prenaient forme. Une cargaison de thé a été jetée à la mer à Boston le 28 février dernier. Les Anglais ont décidé d'appliquer un blocus et les colons entendent se défendre par les armes. On dit que des régiments embarqueraient déjà de plusieurs ports de Grande-Bretagne.
— J'espère, dit La Borde, que cela ne favorisera pas les desseins de Choiseul, grand adversaire de l'Angleterre, et qui voudrait prendre sa revanche de nos défaites passées.
La voiture de La Borde déposa Nicolas et Naganda rue Montmartre. La maisonnée était en révolution. Deux jours auparavant, Catherine, qui dormait peu et veillait souvent en somnolant près du potager, avait été tirée de sa torpeur par Cyrus, anormalement agité. Elle suivit le chien qui gémissait en grondant jusqu'aux appartements de Nicolas, où elle surprit un inconnu masqué qui fouillait son lit et son linge. Elle n'avait pas oublié d'avoir été cantinière dans les armées du roi et d'avoir fait, à l'occasion, le travail d'un soldat. Munie d'une poêle de fonte, elle parvint à faire prendre la fuite au malfaiteur surpris et qui reçut nombre de coups violents sur la tête. Elle fut aidée dans cette réplique par un Cyrus furieux qui arracha un morceau de l'habit de l'inconnu. Le malfaisant dévala l'escalier dérobé qui donnait dans la cour et s'échappa. Apprenant ces faits, Nicolas sentit une chape de glace le saisir tout entier. Il se précipita dans sa chambre et la main tremblante dévasta sans égards la rangée de livres de sa bibliothèque. La boîte était toujours là. Il en fit jouer le mécanisme et se laissa tomber, soulagé, sur son lit : elle contenait toujours la bourse et le pli. Il décida de ne plus se séparer du dépôt et le plaça dans la poche intérieure de son habit, puis retrouva Naganda et Catherine, que sa disparition subite avait laissés pantois.
— Alors, dit la cuisinière, a-t-il dérobé quelque chose ? Bour moi, il n'en a bas eu le temps. Et je te bromets que sa tête doit encore résonner des coups que je lui ai assénés !
Naganda fut présenté à M. de Noblecourt, qu'il charma par ses manières, son érudition, et l'élégance de ses propos. Le vieux magistrat l'interrogea sur son peuple et ses coutumes avec l'enthousiasme d'un écolier. Le jeune chef mic-mac devait malheureusement rejoindre Versailles. Il prit congé au milieu d'un concert de paroles aimables. M. de Noblecourt souhaita lui offrir L'Esprit des Lois de Montesquieu, geste si inhabituel pour cet amoureux avare de ses livres, que Nicolas souligna la générosité du geste à l'oreille de son ami. À son tour, Naganda remit à M. de Noblecourt un sachet de viande d'ours séchée, réputée souveraine en bouillon contre les rhumatismes et deux crocs du même animal, du plus bel ivoire, que le bénéficiaire déposa tout aussitôt au milieu des autres trésors de son cabinet de curiosités. Poitevin appela une voiture et Naganda, entouré de toute la maisonnée et guetté par la curiosité des petits mitrons de la boulangerie, fit ses adieux et quitta la rue Montmartre dans un concert unanime de souhaits et de vœux.
— Cet homme honore ceux qui se reconnaissent ses amis, dit M. de Noblecourt. Que serait donc devenue la Nouvelle France avec de tels talents !
Il voulut que Nicolas lui raconte la fin du roi. Le récit fut circonstancié mais amputé des détails les plus insoutenables. Le commissaire insista sur l'apaisement final du roi, sur la dignité vraiment royale de son maintien jusqu'aux derniers instants. L'auditeur écouta, pensif, ne manifestant aucune réaction au point que Nicolas craignit de l'avoir assombri. Était-il sage d'évoquer de telles matières devant le vieil homme ?
— Je dois vous confier quelque chose, ajouta-t-il. Si ma chambre a été
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