L'affaire Nicolas le Floch
visitée, cela n'est pas dû au seul hasard. Je suis détenteur d'un secret...
M. de Noblecourt leva la main en signe de dénégation.
— Qui vous appartient et que je ne veux pas connaître...
— D'un secret, reprit Nicolas, et d'un objet qui peuvent attirer sur moi bien des périls. Mes clefs ont été perdues, sans doute dérobées au cours d'une récente mission. J'ai toutes raisons de suspecter une précise machination derrière tout cela. Je vais donner toutes instructions pour que les serrures soient changées, à la porte cochère et à celle de mon escalier. La prudence l'exige, d'autant que je ne souhaite pas mettre en danger les habitants de cette maison et vous-même.
— Il en sera fait comme vous le souhaitez. Restez-vous un peu avec nous ?
— Pas encore. Une dernière tâche m'incombe : tenir une promesse faite au roi.
Il monta s'apprêter. Il s'interrogea sur les consignes qui entouraient l'exil de l'ancienne favorite à l'abbaye de Pont-aux-Dames. Serait-il même reçu ? Il prit ses résolutions ; la fin justifierait les moyens. Même s'il devait mentir ou travestir la vérité, rien ne l'arrêterait. Songeant qu'il faudrait peut-être en imposer, il emporta sa robe de commissaire et la verge d'ivoire, symbole de son autorité. Il les utilisait rarement, uniquement lors des cérémonies au Châtelet ou au Parlement. Sur les onze heures, il quitta la rue Montmartre après avoir avalé deux oreilles de cochon grillées à la moutarde que lui avaient apprêtées Catherine et Marion en pleine préparation d'une hure de porc en terrine pour un souper que M. de Noblecourt offrait chaque année en tant que marguillier au conseil de la fabrique de la paroisse Saint-Eustache. Une fois les instructions données à Poitevin concernant le recours immédiat à un serrurier, il s'engagea dans l'impasse qui menait à l'église où il demeura un bon quart d'heure, revint sur ses pas pour s'enfoncer, en face de l'hôtel Noblecourt, dans le passage obscur de la reine de Hongrie, qui le mena rue Montorgueil où il trouva une voiture. Il ne se faisait guère d'illusions sur ces précautions, encore que l'habitude des filatures lui permît de parier sur des failles ou des inattentions toujours possibles de ceux qui le suivraient. Il se fit tout d'abord conduire à l'hôtel de police, voulant prévenir de son absence sans pour autant détailler ses raisons. M. de Sartine venait de quitter la rue Neuve-Saint-Augustin pour le château de la Muette, appelé par le nouveau roi. Nicolas changea de voiture, gagna Vincennes et s'engagea sur la route de Lagny qui devait le mener à Meaux.
Alors qu'il traversait une forêt et qu'il était à moitié assoupi, un claquement sec le mit en éveil. La voiture fit une embardée et s'arrêta. Il sortit et s'aperçut que le cocher avait la tête sur les genoux. Le bougre s'était-il endormi, pris de boisson ? Au moment où il tentait de le secouer, un coup de feu éclata et il entendit le sifflement de la balle près de son oreille gauche. Il n'y avait pas à balancer ; il feignit d'être touché et se laissa tomber à terre. Son tricorne était demeuré dans la voiture avec, dans son aile droite, le pistolet de poche, cadeau de Bourdeau qui ne le quittait jamais. Un cavalier s'approchait derrière la voiture. Nicolas se trouvait dans l'impossibilité de tirer son épée. Couché près du fossé, dans les jambes des chevaux, il banda tous ses muscles prêt à rouler dans l'herbe pour une tentative désespérée. Il ferma à moitié les yeux, percevant ce qui l'entourait dans une sorte de brouillard flou. Tout dépendait des intentions de l'ennemi. Il ne donnait pas cher de sa vie dans le cas où un second coup de feu lui serait destiné. Si, en revanche, on procédait à l'épée, une chance minime subsistait de retourner la situation. Il entendait la monture qui avançait au pas, avec prudence. Il y eut un court instant de silence, ponctué seulement par les battements de son cœur. Nicolas craignit que l'adversaire ne les entendît aussi. Le cheval s'ébroua, tapa du sabot avec impatience. L'attelage répondit à ces manifestations par des hennissements. De nouveau le silence pesa, puis le gravier du chemin crissa ; le cavalier avait dû mettre pied à terre. D'évidence, il prenait la mesure de la situation avec méfiance. Nicolas entendit les pas se rapprocher lentement. Un second coup de feu éclata, tout proche. Pourtant, Nicolas ne sentit rien mais perçut
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