L'affaire Nicolas le Floch
discrétion.
— Qu'a-t-il fait pour que vous vous interrogiez de la sorte ?
— Il n'a cessé de nous trahir, et depuis longtemps. Le prêtre qui m'a demandé vient de le confesser. Il est dans un réduit en haut de la maison où logent mes domestiques. Depuis son retour de Versailles, il est malade. Le médecin consulté a décelé une petite vérole surgissante de la plus mauvaise espèce.
— Il me semble me rappeler l'avoir entendu dire, lorsqu'on a fait sortir le service de la chambre du roi, qu'il ne craignait rien, l'ayant déjà eue.
— Il nous a menti. Violemment remué par le spectacle de la mort de Sa Majesté, il se croit perdu et a voulu décharger sa conscience. Il a demandé au confesseur de m'aller chercher, ayant des confidences à me faire. J'en viens. Le finaud espionnait le roi et rapportait tout ce qui se passait autour de lui. Il mangeait à tous les râteliers, étant rapace par nature ainsi que vous l'aviez remarqué. Les gens de Choiseul et d'Aiguillon le stipendiaient en même temps, et d'autres peut-être. Pourvu qu'on le payât, il dégoisait. Malheureusement pour lui, il reçut l'ordre formel de ses maîtres cachés de demeurer dans les appartements du roi, au péril de la contagion.
Nicolas revit en un éclair certaine audience dans la salle du conseil où le roi, en présence de Sartine, lui avait détaillé ses recommandations avant son départ pour l'Angleterre. Dans son souvenir, le garçon bleu n'était pas loin, c'est lui qui était venu le chercher après la messe. Voilà qui expliquait sans doute les événements qui avaient ponctué les étapes de la route de Londres.
— Sans aucun doute, reprit La Borde, il se trouvait là quand le roi vous a remis la boîte, dissimulé dans l'alcôve derrière les rideaux. Il en est sorti une fois le roi endormi. Souvenez-vous, nous avons marché dans le salon de la pendule avant que le roi ne s'éveille et me demande d'aller chercher Mme du Barry.
— Tout cela est bel et bon, dit Nicolas. Pourtant, je n'y découvre aucune explication à la substitution du contenu de la boîte. De plus, si celle-ci était intervenue à un moment ou un autre, pourquoi m'aurait-on si sauvagement poursuivi sur la route de Meaux ?
— Peut-être simplement parce qu'il y avait plusieurs complots parallèles et que les commanditaires de l'un n'étaient pas forcément avisés des menées de l'autre. En tout cas, il requiert votre pardon car, dit-il, il regrette de vous avoir porté tort à vous qui avez toujours été si bon avec lui.
— J'espère qu'il en réchappera. Qu'il se rassure : ne lui ayant jamais donné ma confiance, je ne lui en veux point. Cependant, une faveur : faites en sorte qu'on le présume mort. Ce sera une sécurité pour lui et pour vous, d'autant plus que nous ignorons ce que l'avenir nous réserve et l'usage que nous pourrions avoir à faire de ses révélations.
— Il en sera fait comme vous le souhaitez. Qu'allez-vous faire maintenant ?
— Vous laissez reposer, vous en avez bien besoin ! Demain matin, je compte tout rapporter à M. de Sartine et lui demander conseil. Selon vous, puis-je l'initier au secret qui nous lie ?
— Le roi est mort. Cela ne nous délie pas de notre fidélité, mais nous autorise à révéler l'essentiel en vue de l'exécution de ses dernières volontés. D'ailleurs, le lieutenant général de police, dans la pleine confidence de son maître, connaissait tous ses secrets. Sauf celui-ci, peut-être.
Quand Nicolas rentra rue Montmartre, Catherine veillait et lui ouvrit les portes. Elle lui remit aussitôt les clefs des nouvelles serrures posées dans la journée même. Elle pâtissait, en l'attendant, des tartes aux premières griottes d'un arbre du petit jardin de l'hôtel de Noblecourt, qui donnait très tôt force fruits petits, fermes et parfumés. Il s'affala sur une chaise de l'office et, le voyant si épuisé, elle entreprit de lui préparer quelques douceurs. Elle tailla dans les chutes de pâte des triangles inégaux qui, plongés soudain dans l'huile chaude, se tordaient puis s'enflaient comme animés par un souffle intérieur. L'écumoire les récupérait juste avant qu'ils ne brunissent, les posait sur une grille pour les égoutter avant qu'on ne les saupoudre de sucre. Nicolas, soit énervement, soit faim réelle, en engloutit une bonne douzaine qu'il arrosa à son habitude d'une bouteille de cidre. Remonté dans son logis, il s'écroula épuisé sur sa
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