L'affaire Nicolas le Floch
l'écriture.
— Juste. On trouvera. On pourrait envoyer le poulet par la poste.
— Il y aurait un risque qu'il soit ouvert, ou qu'il n'arrive point. Il faut être sûr qu'il parvienne à bon port dans le délai voulu. Il faut mettre au point notre souricière. Lors de cette rencontre, il ne s'agit pas d'appréhender mais de tenter de remonter la chaîne jusqu'au maillon principal. Nous devons reconnaître les lieux, en soirée, à la même heure que celle prévue pour le rendez-vous. Ce sera un théâtre de pantins dont nous devons jouer avec art.
— Qui tiendra le rôle de Cadilhac ?
— Je m'en chargerai, dit Nicolas.
— C'est une très mauvaise idée et je ne vous laisserai pas vous y fourvoyer. Imaginez que, même éloigné, notre interlocuteur vous mitraille, hein ? Je serais beau d'aller expliquer cela à M. de Sartine. En outre, vous êtes le seul à avoir dans votre tête l'entièreté de cette affaire. Enfin, vous n'avez pas la silhouette de Cadilhac, ce dernier argument me paraît péremptoire et décisif.
— Je note dans votre propos une critique contenue. Rassurez-vous, vous saurez tout... quand je serai sûr de mon fait. Quant à votre argument, je l'accepte mais de mauvaise grâce. À qui s'adresser, alors ? Nos gens ne seront pas à la hauteur. Rabouine, peut-être ?
— Non, dit Bourdeau, il est également connu de Camusot. Il ne faut négliger aucun détail. L'animal était dans la cinquantaine, assez fort avec une moustache grise. Considérons qu'avec un postiche, je ferais assez bien l'affaire. Rassurez-vous, je porterai une cuirasse sous le pourpoint, ce qui accentuera d'ailleurs mon embonpoint et complétera la ressemblance.
Nicolas réfléchit un moment.
— Tout cela ne me plaît guère, dit-il enfin. Il paraît pourtant que je devrai m'y résoudre. Dans le détail, la plus grande prudence s'impose. Nous visiterons les lieux, de préférence grimés. Notre réserve à déguisements nous fournira quelques guenilles bien défigurantes. Je crois enfin, qu'à part vous et moi, personne ne devra paraître sur les lieux. En revanche, un carcan des plus étroits entourera une zone circonscrite par la rue Saint-Jacques, celles du Foin, de la Harpe et des Mathurins. Rien, ni personne, ne devra la franchir, y entrer ou en sortir, sans être aussitôt signalé et éventuellement suivi avec les plus grandes précautions pour ceux qui s'échapperaient de l'abbaye. Je vais écrire un mot à Pelven, ancien matelot et, actuellement, concierge à la Comédie italienne. C'est un vieux complice. Il vous y introduira, afin qu'un des membres de la troupe aide à vous maquiller et à trouver la silhouette exacte de Cadilhac.
— Hé ! dit Bourdeau, les théâtres sont fermés pour un mois en raison de la mort du roi.
— Il trouvera une solution, comptez sur lui. Portez-lui une carotte de tabac et une bouteille d'eau-de-vie de ma part.
— N'oublions pas, fit pensivement Bourdeau, que les précautions que nous prenons seront sans doute aussi observées par nos adversaires. Ainsi, je puis, moi-même, être suivi après l'entrevue. Il faudra prendre garde à cela.
— Votre voiture s'engagera rue des Deux-Portes pour rejoindre la rue Hautefeuille. Une charrette de foin opportunément renversée après votre passage fera l'affaire.
— Et vous-même ?
— Je serai là pour vous porter secours, présent depuis plusieurs heures afin de ne point donner l'éveil. Mon autre souci sera d'observer si un second larron assiste à tout cela, dans le cas où Camusot ne paraîtrait pas. Il peut ne vouloir entrer en négociation que s'il est assuré que Cadilhac est bien Cadilhac. Soit il s'engage lui-même, soit il dépêche quelqu'un qui connaît Cadilhac pour s'assurer de l'identité du maître chanteur.
— Vous devrez veiller à ne pas arriver sur les lieux trop peu de temps avant la rencontre ; vous risqueriez de croiser celui que vous voulez démasquer.
— C'est peu probable. En fait, dit Nicolas, j'y dormirai la nuit de lundi à mardi.
Bourdeau semblait perplexe.
— Le délai n'est-il pas trop court ?
— Il faut les affoler. La seule chose qui peut advenir, c'est que le messager ne touche pas Camusot, alors ce sera partie remise. Cependant, je l'imagine sur les charbons ardents, dans l'attente de nouvelles. Il passera forcément chez lui. On va lui dépêcher un vas-y-dire, malin et inconnu au Châtelet, à qui il faudra recommander de se terrer quelques jours. En cas
Weitere Kostenlose Bücher