L'affaire Nicolas le Floch
recours, quelques menaces favoriseront sa sincérité. Quant à M. Balbastre, les investigations de l'inspecteur nourriront le questionnement auquel nous nous ferons un plaisir de soumettre ce quinteux personnage. Il a, d'ores et déjà, de nombreux éclaircissements à nous apporter, car l'enquête le croise par trop souvent à tous ses détours pour que cela soit un hasard !
— N'oublions pas, dit Bourdeau, que, sous sa superbe, Balbastre ne possède aucun alibi.
Tout en attaquant sa part de pâté de prunes sèches, Nicolas réfléchissait au lien qui pouvait exister entre l'organiste de Notre-Dame et sa propre vie. C'est chez lui qu'il avait rencontré Julie pour la première fois. Il connaissait ce mystérieux Müvala. On le soupçonnait d'appartenir à des cercles secrets. Pressé de questions, l'aveu lui avait échappé qu'une puissance le tenait et lui imposait sa conduite. On ne pouvait exclure qu'il fût de surcroît sous le charme de Mme de Lastérieux, encore qu'on ignorât tout de sa vie privée. Lors de l'entretien avec Balbastre devant le buffet du grand orgue de Notre-Dame, le commissaire avait été frappé par un détail sans parvenir à établir sa nature, mais celui-ci, comme dans les jeux de cartons découpés, devait pouvoir prendre sa place dans le tableau général du drame à un endroit précis.
Le repas s'acheva avec moins d'allégresse qu'il n'avait commencé. Il semblait qu'un poids supplémentaire pesât sur les réflexions des trois amis. Nicolas revint au Châtelet pour consulter l' Almanach Royal et retrouver le nom du commis des Affaires étrangères qu'il souhaitait rencontrer à Versailles. Ne parvenant pas à ses fins, il décida de s'en remettre à M. de Séqueville, secrétaire ordinaire du roi à la conduite des ambassadeurs. Celui-ci demeurait rue Saint-Honoré, vis-à-vis la rue Saint-Florentin. Il décida de se dégourdir les jambes, la marche participant de son système de raisonnement. Le mouvement physique et l'espèce d'oubli qu'elle suscitait en lui favorisaient sa réflexion au plus haut point. Le déroulement du spectacle de la rue et son agitation, ainsi que la multiplicité des visages et des bruits, prenaient leur place dans cet exercice comme autant d'excitants nécessaires.
M. de Séqueville se trouvait au logis. Après les compliments d'usage, il écouta la requête du commissaire et, réflexion faite, déclara la chose possible mais en excluant tout recours à un commis des Affaires étrangères, par définition peu au fait des correspondances privées. Il baissa la voix avant d'avouer connaître cependant, au fin fond du faubourg Saint-Marcel, un écrivain public, calligraphe de qualité. Sa voix se fit presque inaudible pour préciser qu' on avait eu l'occasion de faire appel à ses services afin de vérifier certains papiers douteux et des signatures soupçonnées d'être contrefaites et qu'il se pouvait bien que ce M. Rodollet fût à même d'aider Nicolas. Toutefois, l'homme étant à juste titre méfiant, il serait hasardeux de l'entreprendre sans précaution liminaire. Nicolas devrait être muni d'un papier de recommandation que lui, Séqueville, s'engageait à lui rédiger sur-le-champ. En fait de lettre, Nicolas eut la surprise de recevoir un petit carré de papier où il devina un dessin à la plume sans aucune mention manuscrite ; le tout fut plié et aussitôt scellé. Le bon visage de M. de Séqueville, plissé par l'amusement, dissuada le commissaire de poser la moindre question. Il se fit préciser l'adresse, qu'on lui donna avec un petit rire aigrelet.
En dépit de son impatience de régler au plus vite ce point capital, Nicolas se laissa porter par un mouvement où sa volonté n'avait que peu de part et qui le conduisit jusqu'au Dauphin Couronné . Le prétexte était de saluer la Satin, désormais maîtresse des lieux. Arrivé devant la maison qui lui rappelait tant de souvenirs tragiques ou aimables, il tira le marteau. Au bout d'un instant, une jeune servante bien mise et souriante ouvrit et lui demanda ce qu'il voulait, indiquant que l'établissement accueillait ses pratiques au début de la soirée. Elle était néanmoins à sa disposition pour toute information qu'il souhaiterait, ajouta-t-elle, avec une révérence gracieuse. Nicolas s'enquit de la maîtresse de maison. En course chez des fournisseurs, elle serait absente jusqu'au soir. Il allait se retirer quand des pas pressés se firent entendre et une main impatiente
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