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L'affaire Nicolas le Floch

Titel: L'affaire Nicolas le Floch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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écarta la servante. Un jeune homme, presque un enfant encore, le tricorne à la main, en habit noir et cravate blanche, pria qu'on l'excusât et demanda le passage pour sortir. Nicolas demeura pétrifié. Dans le visage et l'allure du garçon, il crut se revoir, comme dans un miroir, vingt ans auparavant. Son émotion fut telle qu'il se laissa doucement pousser de côté alors qu'il obstruait le passage. Le jeune homme lui jeta un regard curieux, mais Nicolas était à contre-jour et il ne dut pas voir son visage. Cette apparition disparut presque en courant. Reprenant ses esprits, Nicolas ne put s'empêcher d'interroger la servante sur cette fugitive vision.
    — C'est Louis, le fils de madame, répondit-elle en rougissant. Il est encore au collège où ses succès sont flatteurs. Il est très rare qu'il vienne ici...
    Elle devint écarlate.
    — Madame ne serait pas contente de savoir qu'il est passé. Vu sa conduite, son zèle et son travail, elle ambitionne pour lui une position, une position...
    Elle s'interrompit, au bord des larmes.
    Voilà, soupira Nicolas ému à son tour, un gredin qui traînera les cœurs après lui ; sa figure promet en sa faveur. Il donna un louis à la fille éblouie et fit quelques pas dans la rue, comme étourdi. Le doute, s'il avait jamais habité son esprit, n'était plus permis. Son émotion était telle qu'il semblait ne point voir les passants venant en sens contraire et qui le bousculaient en grondant. Une sorte de bonheur le disputait en lui à l'angoisse. Dans un monde où la naissance primait toujours, quel serait le destin de cet enfant ? Lui-même n'avait que trop souffert d'une bâtardise dont pourtant les bénéfices s'étaient fait sentir au fil des années. Qu'adviendrait-il de l'enfant naturel d'un policier et d'une prostituée ? Son esprit tourmenté lui présenta qu'au moment où cet enfant avait été conçu, elle n'était pas encore entrée dans cette carrière-là. Que devait-il faire ? Une nouvelle fois, il remit à plus tard de trancher dans un débat aussi grave, conscient que cette découverte allait le transformer et que rien, après cela, n'irait plus de soi.
    Il arrêta un fiacre au vol et rejoignit le Châtelet où il récupéra le testament de Mme de Lastérieux saisi chez le notaire, ainsi que le message à lui adressé, puis il passa rue Montmartre, où chacun remarqua sa gravité inhabituelle, se munit des lettres de Julie et ordonna à son cocher de se diriger vers le faubourg Saint-Marcel. Passé les limites de la ville, sa voiture s'engagea dans la rue Mouffetard jusqu'à la rue du Fer-à-Moulin, passa près de la maison de Scipion pour trouver à main droite la petite rue du même nom donnant sur les dépendances du cloître Saint-Marcel.
    Ce quartier, le plus pauvre de la capitale, abritait, outre des couvents et des hôpitaux, toute une population éloignée du mouvement central de la ville. Là, se cachaient quelques sages studieux et misanthropes, dans des retraites isolées. Ce faubourg était réputé méchant, querelleur et inflammable, plus disposé qu'aucun autre aux émotions populaires. M. de Sartine conseillait toujours la modération dans les traitements qu'on lui réservait, disant que les séditions se compriment mais ne s'étouffent pas. Sa police craignait de provoquer cette population et la ménageait, de crainte de la voir riposter et se porter aux plus grands excès. Nicolas et Bourdeau fréquentaient dans leurs enquêtes les tabagies fameuses du faubourg installées dans des estaminets immondes où l'ouvrier en chômage coulait sa journée, la fumée et l'eau-de-vie de contrebande lui tenant lieu de nourriture. Là se rassemblaient aussi des soldats déserteurs, des portefaix et gadouards 56 harcelés par les boucaneuses de la plus basse prostitution. Il ne put s'empêcher de s'interroger sur le fait de savoir quelle différence existait entre ces pauvres créatures vautrées dans la fange et la Satin dans ses dentelles et ses velours. Il se garda d'y répondre, conscient de l'injustice qu'il commettait en pensée. Il regardait ces pauvres maisons de torchis, ces visages hâves et tous ces enfants transis, les pieds nus dans la boue glacée. C'était le lieu de toutes les déchéances, où dominaient le pain de paille, l'huile empoisonnée, le vin aigre et la fièvre pourpreuse. Cette réputation faisait oublier la présence tranquille et discrète d'artisans modestes ayant pignon sur rue et qui se consacraient aux

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