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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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! criait Roublev avec une folle raillerie dans les yeux, dans la broussaille rousse de ses sourcils, dans le hérissement de la barbe.
    Popov regarda stupidement devant lui : le mur, la fenêtre aux carreaux mats derrière lesquels se profilaient les barreaux. Cet accueil insensé le désarçonnait. Il laissa le silence se mettre entre eux presque jusqu'au malaise. Roublev croisait les bras sous la nuque.
    – Roublev, je suis venu décider avec vous de votre sort. Nous attendons beaucoup de vous… Nous savons combien vous êtes pénétré d'esprit critique mais… fidèle au parti… Les vieux comme moi vous connaissent… Je vous apporte des documents… Lisez… Nous avons confiance en vous… Seulement, si vous voulez bien, changeons de place, je préférerais, moi, être couché… Ma santé, vous savez, rhumatisme, myocardite, polynévrite et cætera… Vous avez de la chance d'être solide, Roublev…
    Une eau renversée s'étale, mais les obstacles mêmes qu'elle rencontre lui donnent un contour défini. Popov reprenait ainsi l'avantage. Ils changèrent de place, Popov se coucha sur le lit et il avait vraiment une tête de vieux malade, les dents grises, la peau vaseuse, les rares mèches de cheveux d'un blanc misérable, ridiculement hérissées.
    – Voulez-vous me passer ma serviette, Roublev… Vous permettez que je fume ?
    De sa serviette il sortit des papiers.
    – Tenez, lisez… Sans vous presser… Nous avons le temps… C'est sérieux, tout est très sérieux.
    Ses petites phrases s'achevaient en toussotements. Roublev se mit à lire. Résumé des rapports des attachés militaires à… Rapport sur la construction des routes stratégiques en Pologne… Réserves de combustibles… Les entretiens de Londres… De longs moments passèrent.
    – La guerre ? dit enfin Roublev, tout à fait grave.
    – Très probablement la guerre, l'année prochaine… mmmm… Vous avez vu les chiffres de contrôle des transports ?
    – Oui.
    Nous avons encore une faible possibilité de détourner la guerre vers l'Occident…
    – Pas pour longtemps.
    – Pas pour longtemps…
    Ils parlèrent du danger comme s'ils étaient l'un chez l'autre, en visite. Les délais de mobilisation ? Les troupes de couverture ? Il faudrait en Extrême-Orient, une seconde raffinerie de pétrole ; et développer d'urgence le réseau routier de Komsomolsk. La nouvelle voie ferrée de Yakoutie est-elle vraiment achevée ? Comment subit-elle l'épreuve de l'hiver ?
    – Nous comptons avec une probabilité de très fortes pertes d'effectifs… dit Popov d'une voix éclaircie. « Tous ces jeunes gens – pensa Roublev qui assistait volontiers aux défilés des athlètes et qui, dans les rues, suivait du regard les jeunes hommes râblés des terres russes, les Sibériens aux nez larges, aux yeux horizontaux enfoncés sous des fronts durs, les Asiatiques aux larges visages plats et certains Mongols aux traits admirablement fins, produits des belles races civilisées bien avant la civilisation blanche. Les jeunes filles les accompagnaient dans la vie, épaule contre épaule (ces images se visualisaient peut-être en lui par des réminiscences de films), et tous, ils allaient à travers des villes croulantes, sous les avions, et nos nouvelles bâtisses carrées en ciment armé, œuvre de tant de prolétaires affamés, devenaient des carcasses incendiées, et tous ces jeunes gens, toutes ces jeunes filles, par millions, maculés de sang, remplissaient des fosses hideuses, des trains-lazarets, des petites ambulances puant la gangrène et le chloroforme – nous manquerons certainement d'anesthésiques… Ils continuaient lentement, dans les hôpitaux, à se transformer en cadavres… »
    – Il ne faut pas penser par images, dit-il, cela devient insupportable…
    – Insupportable, vraiment, répondit Popov.
    Roublev faillit s'exclamer :
    – Ah, vous êtes encore là, vous ? Qu'est-ce que vous foutez là ?
    Mais Popov attaqua le premier.
    – Nous comptons avec une perte d'effectifs qui peut atteindre plusieurs millions d'hommes dans la première année… C'est pourquoi… mmmm… Le Bureau politique a adopté cette mesure… hm… mmmm… impopulaire… l'interdiction de l'avortement… Des millions de femmes en pâtissent… Nous ne comptons plus que par millions… Il nous faut des millions d'enfants, dès maintenant, quelle que soit la misère, pour remplacer les millions de jeunes gens qui vont périr… Mmmm… et vous, pendant ce temps, vous

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